L’état-major des armées de Côte d’Ivoire a livré, mercredi 13 juillet, ses précisions sur la présence de ses 49 militaires interpellés à l’aéroport de Bamako dimanche. L’armée ivoirienne insiste sur le fait que le contingent arrêté est bel et bien en mission officielle au Mali dans le cadre des opérations de la mission de maintien de la paix des Nations unies, la Minusma.
Mais l’ONU a du mal à clarifier si ces déploiements, qui ont commencé en 2019, ont une mission aussi claire qu’Abidjan ne l’affirme.
Dans un premier temps, les équipes de l’ONU, tant à New York qu’à Bamako, ont corroboré la version ivoirienne.
Mais après recoupement, de nouvelles informations ont permis de dévoiler que les soldats ivoiriens n’étaient pas considérés comme des éléments nationaux de soutien (NSE) par les Nations unies ; et pour l’organisation, il s’agissait avant tout d’une affaire bilatérale, rapportent notre correspondante au siège des Nations unies à New York, Carrie Nooten, et notre journaliste au service Afrique, David Baché.
En clair, Abidjan a bien signé une convention en 2019 avec l’ONU pour pouvoir déployer ses soutiens logistiques. Mais si des soldats ont été envoyés à Bamako ces trois dernières années, cela n’a pas été organisé dans le cadre de cette convention : en dernier ressort, ils n’étaient donc juridiquement, légalement et administrativement pas considérés comme des NSE.
S’agit-il d’un simple cafouillage administratif, d’une erreur de formalisation ? La faute incombe-t-elle à l’armée ivoirienne ou aux équipes onusiennes ? Des questions restent en suspens.
Pour Abidjan, les 49 militaires font bien partie des NSE avec mandat de l’ONU
Malgré ces informations, l’état-major ivoirien répète que le contingent des 49 militaires fait bien partie des éléments nationaux de soutien (NSE) et qu’il était ainsi légitime, comme l’avait initialement confirmé le porte-parole de la Minusma au lendemain de leur arrestation, rapporte notre correspondant à Abidjan, Sidy Yansané.
La haute hiérarchie militaire rappelle que sept de ces NSE se sont succédé par le passé sans le moindre problème. C’est pourquoi le colonel Guézoa Mahi Armand, conseiller aux opérations extérieures du chef d’état-major général des armées, récuse l’accusation de « mercenariat » lancée par les autorités maliennes :
« Le MOU signé avec l’ONU nous autorise à détenir des armes, pour nous protéger et protéger les installations qui nous abritent, et je vous rappelle quand même qu’il s’agit des terroristes au Mali. Le transport de ce matériel a été effectué conformément à la réglementation, soit un avion pour le personnel et un autre pour les armements et munitions. Ils n’ont donc pas débarqué avec des armes en mains et, habillés en uniformes, ils n’ont nullement caché leur identité. Toute cette polémique ne devrait donc pas avoir lieu. »
Le haut gradé explique également que ses éléments n’ont pu être enregistrés dans les fichiers de la Minusma, car ils ont été interpellés dès leur atterrissage à l’aéroport de Bamako, les empêchant ainsi d’effectuer les formalités administratives habituelles.
La classe politique malienne pro et contre la junte appelle à l’apaisement
Si l’incompréhension générale persiste en raison de versions radicalement différentes, et si Abidjan demande la libération « sans délai » de ses militaires, Bamako a annoncé vouloir les traduire en justice. Devant la délicatesse de la situation, les personnalités politiques maliennes plaident, dans l’ensemble, pour l’apaisement et la diplomatie.
Un cadre d’une organisation favorable aux autorités de transition maliennes estime que les Ivoiriens sont en faute et qu’« il est temps que certains chefs d’État arrêtent de déstabiliser la sous-région au profit de puissances occidentales », a-t-il dit en faisant référence au président ivoirien Alassane Ouattara et à la France, respectivement.
Un autre cadre politique pro-junte estime que la « confusion » entourant l’arrivée des 49 soldats ivoiriens est une « faute grave » d’Abidjan, mais plaide pour qu’ils ne soient finalement pas jugés. « Seule la voie diplomatique » peut, selon lui, permettre de sortir d’une situation « très risquée », pouvant même aboutir « à une confrontation militaire ».
Un ancien ministre opposé aux autorités de transition actuelles partage la peur des armes. Mais il craint que Bamako n’enflamme le conflit pour flatter l’orgueil national, quitte à faire « exploser le pays ».
Silence du côté de la société civile
Plusieurs autres chefs de partis et anciens ministres pointent les « manquements » d’Abidjan, mais ne croient pas du tout en une tentative de déstabilisation. Ils rappellent que les deux pays ont des relations économiques importantes et que deux millions de Maliens vivent en Côte d’Ivoire.
Pour eux, l’agressivité affichée par Bamako est une « maladresse », voire une « fuite en avant ». Ils prônent « le dialogue » et « la diplomatie », dans l’intérêt des Maliens, et notent le silence d’organisations de la société civile : selon eux, celles-ci sont habituellement promptes à encenser les coups d’éclat des autorités. « L’essentiel est ailleurs, conclut un ancien ministre, et surtout à l’intérieur du pays. »
RFI