La loi d’exclusion portant réforme du système éducatif, en passe d’être votée par le parlement mauritanien, porte les germes d’une déstabilisation grave de notre pays. Elle est portée par des parlementaires panarabistes, des partis politiques convertis à l’ordre dominant, acquis à l’idée d’une Mauritanie irréversiblement arabe et dont la réforme en discussion serait la traduction de cette aspiration.
D’où le refus obstiné de parlementaires, du ministre de tutelle, et au-delà, de l’Etat plus arabe que mauritanien dont ils agissent, de tout amendement ou report de l’article qui pose problème (61). Est-ce beaucoup demander que les langues du pays, reconnues toutes comme nationales, soient par voie de conséquence toutes langues officielles, de travail et de communication.
Pour un pays qui a le souci de la justice et de l’égalité entre ses fils, tous ses fils, des parlementaires ou des partis politiques qui se réclament du peuple accéderaient naturellement un tel amendement. Mais ici le souci est ailleurs : assimiler à marche forcée. Car l’enjeu de cette énième réforme en discussion n’est pas seulement de promouvoir la langue et la culture arabes. Cela se fait à coups de réformes depuis les premières heures de l’indépendance nationale. Mais le véritable enjeu c’est d’empêcher toute promotion des autres langues et cultures nationales, de chosifier davantage ses locuteurs déjà exclus.
Comment comprendre sinon, après une première expérimentation qui a vu leur introduction dans le système éducatif dans les années 1980 que plus de quarante années plus tard une nouvelle loi vienne proposer leur introduction progressive après expérimentation. Alors que la première expérimentation, malgré le succès sans précédent enregistré, salué par diverses institutions spécialisées indépendantes, fut brutalement interrompue. Remettre ça plus de quarante ans plus tard, c’est tout simplement mettre un barrage supplémentaire à leur utilisation comme langues de communication et de travail.
Qu’aujourd’hui, 25 juillet 2022, des violences policières inouïes s’abattent sur les membres de l’organisation pour l’officialisation des langues nationales (OLAN), venus manifester pacifiquement devant l’assemblée nationale leur désapprobation à ce projet de loi dit d’Orientation du Système Educatif National, montrent la nature et surtout la volonté du système d’achever l’effacement de sa composante négro-africaine. Tout se tient. L’on ne pourra reprocher à ce régime et à ceux qui l’ont précédé un défaut de continuité ou de cohérence quant à la place concédée à l’entité négro-africaine: la dernière dans le droit fil de l’invisibilisation à l’oeuvre depuis plusieurs années et de l’effacement programmé. Bientôt la fin si nous laissons passer.
Le pouvoir éliminationniste en place qui dit vouloir la même chose que les manifestants pacifiques, n’est incohérent qu’en apparence. La caste régnante est la première à ne pas croire ses incantations. Elle le sait autant que nous mais fait semblant. Comme d’habitude. Nous sommes quant à nous sans illusions. C’est la courageuse leçon qu’administrent les manifestants. Au prix de leur intégrité physique et, qui sait, de leur vie car nous redoutons par expérience le pire. Un mot du fait déclencheur de ces convulsions : le factice projet de loi portant prétendument réforme du système éducatif. Tout a été dit à ce sujet tant d’un point de vue juridique, mettant à nu les grossières incohérences du texte, que pédagogiques, politiques, sociologiques voire pratiques. Point n’est donc besoin d’y revenir si ce n’est pour rappeler quelques faits simples.
Le texte dont il s’agit a, pour reprendre une formule célèbre, une apparence et il a une réalité. Son apparence, c’est son enveloppe et ce sont l’affichage et les incantations qui, comme d’habitude, lui servent d’exposé des motifs. Le slogan creux d’égale reconnaissance des langues nationales dont il se prévaut est, nous le savons tous, une énorme imposture. Un mantra pour endormir les naïfs ou outiller les cyniques.
La dernière trouvaille du pouvoir raciste et éliminationniste a une réalité évidente pour peu qu’on veuille la regarder: son objectif éprouvé de compartimenter et hiérarchiser suivant un ordonnancement implacable et immuable les composantes du pays. Comment expliquer autrement le socle du texte faisant obligation aux élèves négro-africains d’apprendre la langue arabe tout en proposant mollement aux élèves maures choix à la carte et tri selon leur bon vouloir? Comment nommer un tel montage autrement que système à deux vitesses? Comme les navires, il nous est proposé une langue amirale suivie d’une flottille de langues d’escorte. La première, déjà seule officielle, sera à ce titre plus que jamais celle de l’espace public, de l’Etat et de la vie publique. Les autres feront au mieux tapisserie. Plus que jamais, éducatif ressemblera au pays, avec ses citoyens à part entière et ses indigènes de fait. Tel est le face à face inégal qui nous est « proposé » au nom de la reconnaissance de toutes nos langues nationales.
Autant dire qu’il y en aura une plus nationale que les autres. Quant à l’école, censée être au centre du dispositif, elle ressemblera à un archipel ethnique digne de l’Apartheid. Chaque élève sera rattaché à son ethnie supposée au mépris de tout métissage, étranger à cette vision. Rien, ni personne ne doit perturber ce projet.
Pourtant au Maroc voisin, les députés ont voté à l’unanimité le 10 juin 2019 une loi officialisant et généralisant l’usage de la langue amazighe (berbère) dans les administrations et à l’école, autorisant la délivrance de cartes d’identité, de passeports ou d’actes de mariage en langue amazighe. Un Conseil national des langues et de la culture marocaine a été mis en place. Ce Conseil vise « la facilitation de l’apprentissage des langues étrangères les plus parlées au monde dont le français ». Eh oui, on y vient. La langue française fait partie de notre patrimoine, notre « butin de guerre », l’anglais ou le mandarin des exemples de langues d’ouverture et d’opportunités.
Pour revenir au Maroc, une chaîne de télévision, Tamazight TV, est consacrée à la culture berbère. En savoir plus sur la mise en place de ce Conseil.
Les exemples qui devraient inspirer pour construire sereinement ne manquent pas. On devrait tous, toutes tendances et ethnies confondues, exiger la libération de militants arrêtés ce jour, condamner l’usage de la violence et faire annuler ce projet discriminant et discriminatoire à grande échelle.
Boubacar Diagana et Ciré Ba – Paris, le 25/07/2022