Le Radeau de La Méduse est l’œuvre la plus célèbre du peintre français Théodore Géricault. Elle est inspirée d’un véritable naufrage : celui de la frégate La Méduse échouée le 2 juillet 1816 au large de l’actuelle Mauritanie. Près de 150 passagers qui se trouvaient à bord furent contraints d’embarquer à bord d’un radeau de fortune.
Des corps gisent à demi-nus sur le radeau flottant au milieu des flots déchaînés. Les âmes encore en vie tendent leurs bras remplis d’espoir vers l’horizon où se dessine la silhouette d’un navire. Après des jours de cauchemar, leur salut est proche. A condition que leur appel au secours soit repéré à travers cet océan démonté.
Cette scène dramatique est l’œuvre du peintre français Théodore Géricault et constitue le plus célèbre de ses tableaux, Le Radeau de La Méduse, actuellement exposé au musée du Louvre à Paris. La peinture, réalisée entre 1818 et 1819, n’est toutefois pas sortie de l’imagination de l’artiste. Elle est inspirée d’un naufrage bien réel, celui de la frégate La Méduse.
C’est au début du mois de juillet 1816 que le navire s’échoua sur un banc de sable au large des côtes de l’actuelle Mauritanie. Un accident qui fut le point de départ d’une quinzaine de jours d’horreurs pour une partie de ses passagers embarqués à bord d’un radeau en bois improvisé et parti à la dérive dans l’Atlantique.
Echouée sur un banc de sable
La Méduse, frégate française de 47 mètres de long, voguait depuis plusieurs semaines lorsque le naufrage intervint. Elle était chargée, aux côtés de trois autres voiliers, de rallier la colonie du Sénégal à la demande du roi Louis XVIII. Objectif de la mission : reprendre possession des comptoirs de la France ravis par les Anglais quelques années plus tôt.
Pour remplir sa mission, le navire embarqua à son bord quelque 400 passagers – fonctionnaires, militaires, scientifiques et colons – ainsi qu’une cargaison de matériel qu’il devait déposer à Saint-Louis. A son commandement, se trouvait l’officier de marine Hugues Duroy de Chaumareys qui n’avait pourtant pas navigué depuis vingt-cinq ans.
Les erreurs du royaliste quinquagénaire ne tardèrent pas à pénaliser La Méduse et son équipage. Dès le départ de France, en juin 1816, le commandant prit l’initiative de distancer les trois autres navires, se retrouvant alors seul à voguer vers les côtes africaines. Mais sa plus grave erreur survint à une cinquantaine de kilomètres des côtes de la Mauritanie.
Après avoir décidé de se passer de la lecture des cartes et de l’avis de ses officiers, Chaumareys fit une erreur d’estimation dans la position du navire par rapport au banc d’Arguin, un vaste ensemble de bancs de sable connue des marins. Négligeant les manœuvres à accomplir pour contourner l’obstacle, La Méduse s’y échoua brutalement l’après-midi du 2 juillet.
Des tentatives furent menées pour remettre la frégate à flot. En vain. Après quelques jours d’immobilisation, une tempête se leva et secoua le voilier jusqu’à y ouvrir des voies d’eau et briser sa quille. L’abandon fut décidé alors que le désordre avait déjà commencé à s’emparer des passagers et de l’équipage.
Un radeau pour 150 passagers
La Méduse embarquait des canots et chaloupes mais ils s’avérèrent bien insuffisants pour transporter la totalité des près de 400 personnes à bord parmi lesquelles figurait le colonel Schmaltz, récemment nommé gouverneur de la colonie du Sénégal. Un radeau en bois de vingt mètres sur six fut improvisé pour les moins chanceux à partir de planches récupérées.
Le 5 juillet, près de 150 passagers – essentiellement des marins et soldats – s’entassèrent sur la construction de fortune. L’idée était que les chaloupes la remorquent jusqu’à atteindre le littoral. Mais à peine le convoi parti, le radeau surchargé prenait déjà l’eau et peinait à avancer. Deux heures plus tard, les amarres qui le reliaient aux canots se rompaient.
Ont-elles cédé sous le poids de l’embarcation ? La violence des vagues ? Ou furent-elles rompues volontairement ? On l’ignore. Alors que le convoi où se trouvait Chaumareys finit par rejoindre Saint-Louis, ce fut le début de l’horreur pour les passagers du radeau de La Méduse sur lequel des conflits éclatèrent rapidement.
Les provisions furent terminées dès la première nuit, accentuant encore les tensions. Certains se jetèrent volontairement dans les eaux infestées de requins, d’autres furent passés par-dessus bord ou eurent les jambes broyées par des rondins de bois mal fixés. Après quelques jours, « la machine » – comme on l’avait surnommée – avait déjà perdu des dizaines de ses passagers.
Affamés et assoiffés, les naufragés tentèrent de se nourrir de poissons volants mais, faute de captures abondantes, se mirent à ronger les cordages du radeau, leurs chapeaux ou leurs ceintures. Des survivants se livrèrent aussi au cannibalisme, s’attaquant aux cadavres encore présents sur l’embarcation.
A peine une quinzaine de survivants
Au fil des jours de cauchemar, l’effectif continua de diminuer et la folie de gagner les esprits. Le 17 juillet, lorsque le brick L’Argus apparut à l’horizon, ils n’étaient plus qu’une quinzaine à avoir survécu, amaigris, brûlés par le soleil voire agonisants. Cinq d’entre eux moururent avant l’arrivée à Saint-Louis.
Plusieurs journaux dont Le Fidèle ami du roi publièrent le 14 septembre 1816 le récit de l’un des survivants, le chirurgien Jean Baptiste Henri Savigny :
Ceux qui survivaient étaient dans l’état le plus déplorable ; l’eau de la mer avait enlevé l’épiderme de nos extrémités inférieures ; nous étions couverts de contusions ou de blessures qui, irritées par l’eau de la mer, nous arrachaient à chaque instant des cris effroyables.
Les caractères étaient aigris jusque dans les bras du sommeil ; jusque dans les bras du sommeil, nous nous représentions les membres déchirés de nos malheureux compagnons, et nous invoquions la mort à grands cris. Une soif ardente, redoublée par les rayons d’un soleil brûlant, nous dévorait ; elle fut telle que nos lèvres desséchées s’abreuvaient avec avidité de l’urine qu’on faisait refroidir dans de petits vases.
Les témoignages publiés par la presse de l’époque permirent d’exposer l’ampleur de la tragédie au grand jour. Début février 1817, le commandant de La Méduse fut interrogé. Son procès s’ouvrit quelques semaines plus tard et aboutit à la condamnation de Chaumareys, puni de trois années de prison et radié de la Marine.
L’affaire fit grand bruit et fut encore relancée en novembre 1817 avec la publication d’un récit plus complet par le même chirurgien et un autre rescapé. C’est dans ce contexte que Théodore Géricault, alors âgé de 26 ans, en entendit parler. Pensant qu’une peinture sur ce drame pourrait lui apporter de la notoriété, il se lança dans des recherches approfondies.
Il lut les récits du naufrage, rencontra Savigny et l’autre rescapé et construisit même un modèle réduit du radeau. L’œuvre monumentale, dans laquelle le peintre se permit quelques libertés par rapport aux faits réels, fut achevée et présentée en 1819. Elle provoqua la controverse mais contribua à inscrire le naufrage de La Méduse dans toutes les mémoires.
Géricault ne fut d’ailleurs pas le seul artiste à s’inspirer du drame qui fit aussi l’objet d’un film sorti en 1994 et fut évoqué dans différentes œuvres littéraires et musicales. En 1980, une expédition fut également lancée pour retrouver l’épave de la frégate qui fut localisée à cinq mètres de profondeur et identifiée grâce aux artéfacts et équipements qu’elle recelait
EMELINE FÉRARD
Geo.fr