Elu à la tête de la puissante association peule Tabital Pulaaku International (TPI), l’ancien émir de Kano peut se prévaloir d’un carnet d’adresses parmi les plus fournis de la sous-région, à l’heure où il prévoit de rencontrer plusieurs présidents ouest-africains dans les prochaines semaines.
Son jet privé a atterri à New York le 13 septembre. Muhammadu Sanusi II est actuellement dans la métropole américaine où il participe à l’assemblée générale des Nations unies qui s’est ouverte le 18 septembre. L’ancien émir de Kano (2014-2020) y a été convié en tant que « champion » des « Objectifs de développement durable ». Une fonction à laquelle il avait été nommé par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres en 2019.
Quelques jours avant de rejoindre la 42e Street sur la première Avenue, Muhammadu Sanusi II s’est vu couronner « hooreejo » (président) de la très influente l’association peul Tabital Pulaaku International (TPI). Un titre de plus pour celui qui est déjà calife général de la confrérie soufi Tidjaniyya au Nigeria, « senior academic visitor » à l’université d’ Oxford, ou encore membre du conseil d’administration de grandes entreprises telles que MTN et l’un des plus importants gestionnaires d’actifs au monde BlackRock.
Tractations à Abuja
Son élection s’est déroulée le 10 septembre dans la capitale nigériane. L’organisation culturelle, qui constitue l’un des principaux lobbys politiques de la communauté, y a tenu son assemblée générale extraordinaire. Dans la salle du Centre de conférence international d’Abuja, s’est retrouvé un échantillon de l’élite peul ouest-africaine et de la diaspora. Du grand érudit sénégalais Fary Silate Ka au général malien Ismaïla Cissé en passant par le major nigérian Hamza al-Mustapha, ancien chef de la sécurité du défunt chef d’État Sani Abacha, l’ex-ministre des affaires étrangères burkinabè Alpha Barry (2016-2021) ou encore une poignée de puissants hommes d’affaires à l’instar du camerounais Kadri Yaya. A leurs côtés, l’imam malien Mahmoud Dicko a été ovationné par le maître de cérémonie, non sans susciter une certaine gêne.
La constitution de la nouvelle équipe dirigeante de l’association a été le fruit d’intenses tractations entre les différents courants politiques ainsi qu’entre francophones et anglophones. Elles ont été menées de nuit entre l’hôtel Sheraton, où résidaient les principales délégations, et le Transcorp Hilton où logeait notamment le richissime homme d’affaires guinéen Alpha Amadou Diallo. Ce dernier, président sortant de TPI, a aussi été l’un de ses principaux soutiens financiers durant ces seize dernières années.
En coulisses, il s’est longuement entretenu avec son successeur qui a tenu à le rassurer et l’a laissé en partie composer le bureau exécutif. Certains élus, tels que l’avocat malien Hassan Barry, qui s’est vu confier les questions de justice et des droits de l’homme, n’avaient pas été informés au préalable. Le poste de secrétaire général au sein du nouveau bureau exécutif de TPI, a quant à lui été confié à Lamido Issa bi-Amadou, ancien ministre et actuellement conseiller à la présidence centrafricaine, qui a longtemps cultivé des liens avec le groupe rebelle du 3R.
Le délicat dossier des Peuls au Sahel
L’arrivée de Muhammadu Sanussi II à la présidence de TPI suscite convoitises et attentes. Elles portent autant sur sa capacité de contribution financière que sur son entregent sur le continent et dans les institutions internationales. La direction de l’organisation compte en effet sur l’ancien gouverneur de la Banque centrale nigériane (2009-2014) pour mettre son influence au service des préoccupations de la communauté notamment d’ordre sécuritaire et politique.
Aux conflits meurtriers entre éleveurs et agriculteurs, comme au centre du Nigeria, s’ajoute la multiplication des actions hostiles dans certains Etats d’Afrique de l’Ouest. Jusqu’au nord de la RDC, où les éleveurs peuls sont assimilés à des complices des reliquats de la Lord Resistance Army (LRA), persécutés et pour certains assassinés.
Dans l’espace sahélien, des groupes djihadistes peuls sévissent sous la coupe du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, tels que la Katiba Macina menée par Amadou Koufa dans le centre du Mali. De son côté, l’ Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), qui compte également de nombreux combattants peuls dans ses rangs, demeure très actif dans la « zone des trois frontières » entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
La spirale de violences intercommunautaires meurtrières se conjugue aux massacres attribués aux Forces armées maliennes (FAMa) et aux éléments du groupe paramilitaire russe Wagner. Le plus important est l’exécution de centaines de civils en majorité peuls dans le village de Moura, en mars dernier. Au Burkina Faso, les milices rurales d’autodéfense, les Koglweogo, se sont illustrées par des tueries ciblant des Peuls, avec parfois le soutien des forces de sécurité.
Muhammadu Sanussi II a prévu de rapidement solliciter un entretien avec le chef de la junte malienne au pouvoir depuis août 2020, le colonel Assimi Goïta, de même qu’avec son homologue burkinabè, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, afin de plaider la cause de la communauté. Son approche à l’égard des présidents putschistes est toutefois jugée un brin « naïve » par les cadres francophones de TPI, pour qui le nouveau président semble déconnecté des « réalités sahéliennes ».
Politique et influence
Une partie de l’organisation entend favoriser l’émergence de leaders politiques et pratiquer une forme d’entrisme au sein des pouvoirs et de leurs partis. Avec l’objectif de renforcer sa position de principal lobby peul dans la sous-région et de mener des actions d’influence au sein des pouvoirs et auprès d’institutions telles que la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et l’ Union africaine.
TPI compte des relais auprès des quatre chefs d’Etat peuls en exercice : le Sénégalais Macky Sall, le Bissau-Guinéen Umaro Sissoco Embaló, le Gambien Adama Barrow, et le Nigérian Muhammadu Buhari. Ce dernier ne parle pas le fulfulde – contrairement à la première dame Aisha Buhari – et, tout comme ses homologues, prend soin de se tenir à distance de TPI pour ne pas alimenter les soupçons de favoritisme ethnique.
Le vice-président de la Sierra Leone, Mohamed Juldeh Jalloh, s’affiche plus volontiers au sein de l’association et de son représentant à Freetown, Alhaji Juldeh Sowe, riche homme d’affaires et philanthrope. Ces derniers entretiennent des relations étroites avec l’opposant guinéen Cellou Dalein Diallo et nombreux sont ceux qui, parmi cette élite politique et économique peule, avaient visité Muhammadu Sanussi II lorsqu’il était sur le trône de l’émir de Kano. Le puissant chef traditionnel ne s’interdisait pas de critiquer la politique économique du président Buhari et du gouverneur de Kano, Abdullahi Umar Ganduje, qui a provoqué sa destitution en mars 2020.
Africa Intelligence