La France a tranché sa position en soutenant le Conseil militaire de transition au Tchad, qui a pris le pouvoir après le décès du chef de l’Etat, Idriss Déby, et ce en dépit de la condamnation par l’opposition, qui a qualifié cet acte de « putsch » contre la Constitution.
Le président français, Emmanuel Macron, a souligné dans un discours prononcé à l’occasion des funérailles de Déby, dans la capitale tchadienne N’Djamena, que son pays « n’autorisera personne, ni aujourd’hui ni demain, à porter atteinte à la stabilité du Tchad ».
Ce message était adressé à plusieurs parties, à leur tête les rebelles du Front de l’Alternance et du Consensus du Tchad (FACT), accusé d’avoir tué Déby, après avoir quitté sa base arrière en Libye et pris le contrôle de la province de Tibesti avant de progresser vers N’Djamena. L’armée tchadienne a stoppé l’avancée du FACT à quelque 300 kilomètres au nord de la capitale.
L’annonce de Macron et des dirigeants de la région du Sahel, qui ont assisté aux obsèques de Déby, illustre leur engagement à assurer la stabilité du Tchad et constitue une reconnaissance du Conseil militaire de transition, malgré le rejet, aussi bien de l’opposition politique que de l’opposition armée, qui ont appelé Paris à faire preuve de neutralité.
Les rebelles du FACT ont accusé Paris de prêter main forte à l’armée tchadienne à travers les avions de reconnaissance français mis à leur disposition pour mener des raids aériens contre leur quartier général dans le nord de la ville de Kanem, les 21 et 22 avril, en vue d’assassiner leur chef, Mahamat Mahdi Ali.
Ce raid aérien contre Mahamat Mahdi Ali serait la réaction à l’assassinat de Déby père et une manière d’entraver l’avancée des rebelles en direction de N’Djamena, deux jours avant les funérailles du président tchadien disparu, auxquelles ont assisté cinq chefs d’Etat, dont Emmanuel Macron.
« Une transition civile militaire »
Pour éviter d’être, à nouveau, accusée de soutenir les dictatures en Afrique, la France a créé le concept de « transition civile militaire » pour justifier son appui au Conseil militaire de transition dirigé par le général Mahamat Déby (37 ans) qui a dissous le Parlement et le gouvernement, suspendu la Constitution et s’est emparé de l’ensemble des attributs des pouvoirs exécutif et législatif, y compris la désignation des membres du Parlement provisoire.
L’opposition tchadienne insiste que la Constitution prévoit une phase transitoire de 90 jours dirigée par le président du Parlement, avant la tenue des élections, et rejette fermement que des militaires gouvernent le pays.
De son côté, la France justifie son soutien apporté aux Conseil militaire tchadien, en dépit de la contradiction que cela représente à ses valeurs démocratiques, en prétendant que le président du Parlement a refusé d’occuper, comme le prévoit la Loi fondamentale, le poste de chef de l’Etat.
Macron et les dirigeants de la région du Sahel ont insisté sur le fait que la phase transitoire doit compter également sur d’autres instances civiles, hormis le Conseil militaire.
Alors que la Déclaration publiée, le 21 avril, octroie à Déby fils, de larges prérogatives, la France et les pays du Sahel s’emploient à ce que les civils obtiennent des attributions équivalentes aux pouvoirs du Conseil militaire de transition.
Ces pays ont mis l’accent sur l’impératif qu’il y a à ce que la période de la phase transitoire ne dépasse pas les dix-huit mois, tandis que la Déclaration du Conseil militaire évoque une période de 18 mois renouvelable une fois.
Forte de ces arguments, Paris a tenté de se subtiliser de l’accusation de soutien des dictateurs et des putschistes. Toutefois, la France tente en même temps de continuer à stabiliser le Régime de Déby, même après sa disparition, comme elle l’a fait pendant de longues périodes.
Un soutien indéfectible
Il est fort probable que l’armée française veille à ne pas voir N’Djamena tomber aux mains des rebelles, qui ont accusé Paris d’entraver leur progression à travers l‘appui logistique offert à l’armée tchadienne par les avions de reconnaissance en mesure de déterminer leurs positions, leur nombre et leurs mouvements.
En effet, la France déploie 5100 éléments dans la région du Sahel, dans le cadre de l’opération « Barkhane », dont le poste de commandement est basé à N’Djamena, ce qui lui offre la possibilité d’intervenir militairement et de manière directe si l’armée tchadienne venait à perdre la capacité à stopper la progression des rebelles.
La France, en tant qu’ancienne puissance colonisatrice du Tchad, a un long passé d’ingérence militaire dans ce pays africain. La France a soutenu la rébellion menée par Idriss Déby qui a renversé le régime de Hissène Habré en 1990.
Ce soutien s’est poursuivi lorsque des dissidents du régime de Déby ont attaqué N’Djamena en 2006, de même que quand Paris a soutenu militairement Déby lorsqu’il fût encerclé dans son Palais présidentiel, en 2008, par les rebelles qui étaient en provenance de l’ouest.
L’aviation française a bombardé aussi, en 2019, un convoi de rebelles qui progressait de la Libye en direction du nord du Tchad selon des médias locaux.
Le « gendarme » de la France
C’est pour cette raison que la France n’est pas prête à lâcher son « gendarme » au Sahel, particulièrement, parce que l’armée tchadienne contribue à hauteur de 1400 soldats aux forces onusiennes déployées dans le nord du Mali (MINUSMA) et a annoncé, en février dernier, l’envoi de 1200 soldats à la zone des Trois Frontières séparant le Niger, le Burkina Faso et le Mali.
De surcroît, l’armée tchadienne participe à hauteur de 3000 soldats à la Force mixte multinationale déployée sur les rives du Lac Tchad.
Au front oriental, N’Djamena a dépêché 1500 soldats dans le cadre de la Force militaire mixte avec le Soudan pour surveiller les frontières communes.
Toutes ces troupes atteignent les 7000 soldats, soit le quart des effectifs de l’armée tchadienne estimé à 30 500 éléments (en plus de 4000 membres des forces paramilitaires).
De son côté, le FACT rebelle avance que ses effectifs ne dépassent pas les quelques milliers, alors que des sources médiatiques concordantes estiment que ce nombre ne dépasse pas les 1500 éléments armés, dont 500 ont été observés en train d’avancer en un seul convoi en provenance de Libye et 450 autres neutralisées au cours de la dernière bataille de Kanem, selon l’armée gouvernementale.
Ainsi, tout retrait par le Tchad de ses forces de l’un des 4 fronts aura un impact négatif sur la sécurité et la stabilité dans la région et comme conséquence le renforcement des groupes terroristes et rebelles qui y sont déployés, chose que la France, qui s’emploie à réduire sa présence militaire au Sahel, ne souhaite pas voir se concrétiser.
Mahamat Déby, qui a participé au commandement d’unités militaires tchadiennes au Mali, connait pertinemment le point faible de Paris. C’est pour cela que les Français et les dirigeants des Etats du Sahel se sont engagés à respecter les traités internationaux et à lutter contre le terrorisme.
En contrepartie du retrait des forces de l’armée tchadienne du Sahel et du Lac Tchad, Déby ne se contentera pas de pas moins d’une reconnaissance internationale de son pouvoir, et d’un soutien militaire français dans sa bataille livrée contre les rebelles du Nord.
La pérennité de régime de Déby, même à travers son fils, revêt une importance capitale d’un point de vue sécuritaire et militaire pour la France, qui est prête à sacrifier la démocratie sur l’autel de la préservation de ses intérêts stratégiques dans la région.
Mustapha Dalaa
*Traduit de l’arabe par Hatem Kattou