Le 25 septembre marque une journée spéciale pour des millions de locuteurs du soninké à travers le monde. En proclamant cette date comme « Journée internationale de la langue soninké », l’UNESCO reconnaît officiellement l’importance de cette langue ancestrale dans la préservation des cultures africaines. La langue est non seulement un outil de communication, mais également un symbole de l’identité individuelle et collective. Elle renferme des éléments essentiels de la vision du monde propre à chaque communauté, et reflète l’histoire, les valeurs et les traditions d’un peuple.
Le soninké, une langue transfrontalière et un vecteur de cohésion en Afrique de l’Ouest
Le soninké, langue nationale reconnue en Mauritanie, au Mali, au Sénégal, en Gambie et en Guinée-Bissau, joue un rôle crucial en tant que lien entre différentes cultures et ethnies. Elle est parlée par des millions de personnes, et s’étend bien au-delà de ses frontières géographiques, avec une diaspora importante en Europe, aux États-Unis, en Afrique centrale, et dans bien d’autres pays. Ce caractère transfrontalier du soninké en fait une langue stratégique pour la coopération régionale en Afrique de l’Ouest. Le Festival International Soninké (FISO), créé pour promouvoir la culture et la langue soninké à travers les frontières, symbolise cette dynamique interculturelle.
Historiquement, les Soninkés sont connus pour avoir fondé l’empire du Ghana, un empire commercial florissant qui prospéra du 6ème au 13ème siècle. Leur héritage perdure dans la langue, qui sert de vecteur pour transmettre la richesse historique, les valeurs communautaires et l’artisanat propre à ce peuple. En Mauritanie, le soninké, tout comme le poular et le wolof, bénéficie d’un statut officiel de langue nationale aux côtés de l’arabe, ce qui reflète une volonté politique de valoriser la diversité culturelle du pays.
Réformes éducatives en Mauritanie : vers une meilleure intégration des langues nationales
La réforme éducative de 2022 en Mauritanie représente un tournant décisif pour les langues nationales, dont le soninké. Cette réforme introduit l’enseignement des matières scientifiques en langues nationales, une mesure audacieuse qui vise à améliorer la qualité de l’éducation pour les jeunes générations. En permettant aux élèves de commencer leur apprentissage dans leur langue maternelle, la réforme s’appuie sur des études qui montrent que l’enseignement dans la langue maternelle favorise une meilleure assimilation des concepts, en particulier chez les jeunes enfants. Cela pourrait potentiellement augmenter les taux de rétention scolaire, réduire les disparités entre les différentes communautés et améliorer les performances académiques à long terme.
L’introduction des langues nationales dans les écoles représente également une mesure pour rééquilibrer le rôle des langues en Mauritanie. Le soninké, tout comme d’autres langues nationales, peut désormais occuper une place plus visible dans l’éducation et le développement social. Cependant, cette mesure ne vise pas seulement à promouvoir la langue pour elle-même, mais également à favoriser l’inclusion des communautés linguistiques historiquement marginalisées dans le système éducatif. En effet, les élèves qui maîtrisent mieux leur langue maternelle dès leur jeune âge pourraient avoir de meilleures chances de réussir leurs études, que ce soit en arabe ou en français plus tard dans leur cursus.
Les critiques de la réforme : enjeux identitaires et rivalités linguistiques
Cependant, malgré l’objectif louable d’une telle réforme, elle n’a pas échappé à la critique. Certains opposants considèrent que les langues nationales, bien que porteuses d’une identité culturelle forte, n’ont pas la capacité d’ouvrir des perspectives universitaires ou professionnelles internationales. Le français, en tant que langue d’enseignement principal dans les matières scientifiques, a longtemps été perçu comme un vecteur de modernité et de progrès. Pour ces détracteurs, introduire les langues nationales dans le système éducatif pourrait affaiblir la place du français et, par extension, la capacité de la Mauritanie à participer à la production scientifique mondiale. Certains y voient même une tentative des autorités mauritaniennes d’éliminer le français au profit d’une arabisation renforcée.
Cette crainte est alimentée par les tensions historiques autour de la langue en Mauritanie, un pays où le français a été maintenu après l’indépendance en 1960 comme langue d’enseignement et d’administration. Les réformes éducatives successives ont progressivement renforcé la place de l’arabe dans le système éducatif, particulièrement après les années 1970, à travers la politique d’arabisation. Cela a profondément transformé le paysage linguistique mauritanien, engendrant des tensions, notamment parmi les communautés négro-mauritaniennes (Halpoulars, Soninkés, Wolofs), qui ont souvent perçu cette politique comme une tentative d’assimilation culturelle.
Langues et identité en Mauritanie : entre arabité et africanité
Les réformes linguistiques en Mauritanie s’inscrivent dans une dualité complexe entre arabité et africanité. D’un côté, l’arabe est vu comme le ciment religieux et culturel du pays, unifiant les différentes composantes de la société mauritanienne autour de l’islam. D’un autre côté, les communautés négro-mauritaniennes, qui comprennent les Soninkés, veulent préserver leur identité culturelle en valorisant leurs langues maternelles et leur héritage africain. Pour elles, la langue française, bien qu’étrangère, a longtemps représenté un outil de neutralité et de modernisation, leur permettant de maintenir une certaine distance par rapport aux politiques d’arabisation.
Cette dualité a des répercussions directes sur les politiques linguistiques du pays. Les réformes visant à promouvoir l’arabe sont souvent justifiées par la nécessité de renforcer la cohésion nationale et de réaffirmer l’identité islamique du pays. Cependant, ces réformes se heurtent à la nécessité de reconnaître la diversité culturelle de la Mauritanie et de garantir une place légitime aux langues nationales. Pour beaucoup, cette pluralité linguistique est perçue non pas comme une menace, mais comme une richesse à valoriser, tant au niveau national qu’international.
Conclusion : la pluralité linguistique, un défi pour l’avenir
Alors que la Mauritanie avance dans le 21ème siècle, la question linguistique reste un enjeu majeur pour sa cohésion sociale et son développement. Si la promotion de l’arabe continue d’être un symbole fort d’unité nationale, la valorisation des langues nationales est cruciale pour préserver la richesse culturelle du pays. À l’occasion de la Journée internationale de la langue soninké, il est impératif de souligner que la diversité linguistique n’est pas un obstacle à l’unité, mais bien une opportunité d’enrichir la société mauritanienne dans son ensemble. Les langues nationales, loin d’être des vestiges du passé, peuvent contribuer à l’éducation, à l’inclusion sociale et au développement durable si elles sont intégrées de manière intelligente et respectueuse.
Djibéry Doukouré