34 ans ! C’est le décompte du temps qui s’est écoulé depuis cette matinée sombre du 9 avril 1989 à Dondé Xorée, situé dans le département de Bakel, provoquant l’éclatement du conflit sénégalo-mauritanien. Plus de 800 «négro-mauritaniens» avaient été atrocement tués et 60 mille chassés de leur pays. Au Sénégal où la majorité a trouvé refuge, l’envie et le désir de rentrer sont là, en dépit des souvenirs sanglants qui meublent leurs journées et nuits. Ils ont tout entassé dans leur mémoire. Des conditions de vie précaires viennent renforcer ce désir. Mais hélas ! Le projet du retour pour ces réfugiés éparpillés le long du fleuve Sénégal est une désillusion totale. Les promesses non tenues et la politique du gouvernement mauritanien se sont liées pour transformer cet espoir en une longue et infernale attente. Grâce à une bourse de Minority Rights Group (Mrg), Le Quotidien a pu se rendre au niveau des deux rives du fleuve Sénégal pour rencontrer ces hommes qui rêvent d’un autre avenir.
Les premières images du village d’Aly Baidi, situé dans la région de Brakna, dans le département de Mbagne, sont celles de ces groupes de femmes en train d’arroser des plants de légumes. Le champ de quelques hectares à peine, est situé à l’orée du hameau, à côté du forage.
Juste après, c’est la maison de la famille Ndiaye. Sans clôture comme souvent au village, la maison est composée d’une bâtisse basse en brique de terre, recouverte d’un toit de tôle. Dans la cour, une tente sous laquelle une jeune demoiselle prépare du thé. Tout autour, le village s’étend à perte de vue, et quelques maisons en ruine composent le paysage. Nous sommes à quelque 12 kilomètres du fleuve Sénégal, en terre mauritanienne. Dans ce village, des réfugiés mauritaniens de retour au pays essaient de retrouver un peu de cette vie opulente qu’ils avaient avant 1989.
A Aly Baidi, elles sont quelques familles à avoir quitté leur exil de Diam Bouri, un village sénégalais à quelques kilomètres de Pété, pour retourner dans leur pays d’origine. Mais ce retour est teinté de désillusion. Abou Ndiaye, le chef de famille, était parmi les hommes les plus puissants de la contrée. Son immense troupeau lui conférait respect et considération. Mais aujourd’hui, lui et sa famille sont confinés à la marge du village. Ils sont devenus des «Moub aad», des «mis à part». «Ceux qui sont rentrés sont nommés aujourd’hui en Mauritanie des «mis à part». Et pour des gens qui comprennent la situation sociologique de la Mauritanie, ils savent que cette mise à part veut tout dire : problème d’accès à l’état civil, à l’éducation, à la santé et à l’eau potable. Les éléments les plus fondamentaux du droit humain sont bafoués pour eux», explique Diafara Diallo, chef du site de réfugiés de Madina Ndiathbé, dans la vallée du fleuve Sénégal.
Dans ce village mauritanien, les évènements de 1989 ne peuvent être gommés des mémoires. Abou Amadou Ndiaye, le chef de famille, ne cache pas son amertume. «Ils avaient promis de nous donner un bâtiment où vivre, des têtes de bœufs, du ravitaillement et des papiers», explique-t-il. Mais la réalité sera différente. Les maisons abandonnées au moment du sauve-qui-peut ne sont plus disponibles. Certaines ont été occupées par les villageois qui n’avaient pas été déportées. D’autres ont été pillées et entièrement razziées par d’autres.
D’autres encore ont tout simplement été perdues par l’usure du temps. Des têtes de bétail promises, ils ne recevront qu’une pour 4 ou 5 personnes. Pourtant, ces promesses étaient inscrites noir sur blanc dans l’accord tripartite signé le 12 novembre 2007 entre le gouvernement sénégalais, la Mauritanie et le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (Hcr). Cet accord devait permettre le retour dans leur pays de quelque 24 000 réfugiés mauritaniens. Mais l’opération n’ira pas à son terme. Les retours se feront suivant un calendrier très perturbé.
En juillet 2008, seulement 4700 personnes étaient revenues au pays, dans des conditions très précaires, souligne Marion Frésia dans son ouvrage «Les enjeux politiques et identitaires du retour des réfugiés en Mauritanie». Le Hcr, qui devait organiser ces retours, avait reçu suite à un appel au don, 1, 5 million sur des besoins estimés à 7 millions de dollars. «Le gouvernement mauritanien garantira aux rapatriés les mêmes droits et l’accès aux mêmes services que les autres ressortissants mauritaniens. Cela comprend l’accès aux documents d’identité et la participation aux activités socio-économiques», indique Jennifer Pagonis, porte-parole du Hcr, le 31 août 2007, au cours d’une conférence de presse à Genève annonçant la reprise des rapatriements.
«Beaucoup de ceux qui sont revenus n’ont pas pu obtenir de papiers», constate Aminata Demba Sy, du village d’Aly Baidi. «Les réfugiés ne peuvent plus obtenir de papiers. Ils sont obligés de taire cela pour avoir une petite chance d’obtenir une carte d’identité par le circuit normal. Et encore !», poursuit-elle. Dans le contexte actuel où le gouvernement mauritanien est engagé dans une politique d’arabisation de la société, les negro-mauritaniens peinent à exister, à avoir une pièce d’identité. «On te demande les certificats de mariage de tes grands parents. C’est vraiment de la mauvaise volonté», dénonce un vieux refugié du village.
A Aly Baidi, le retour s’est fait dans la douleur. Dans les cœurs, la rancœur est bien présente. Mais la résignation encore plus. Dans son cœur de mère, la colère de Aminata est attisée par le fait que ses enfants n’ont plus accès à l’éducation. «Quand on est arrivés, l’Aner, partenaire du Hcr dans la région, avait construit une salle de classe pour nos enfants dans l’école. Mais comme l’enseignant qui était ici, est arrivé à la fin de son contrat, il n’a pas été remplacé. Depuis, nos enfants ne vont plus à l’école», dit-elle. Idem pour la santé. La structure sanitaire la plus proche se trouve au village voisin, distant de 2 à 4 km. Les femmes, en l’absence d’électricité et de moulin à mil, passent encore de longues heures dans les corvées d’eau et de pilage de mil. Le petit périmètre maraîcher qu’exploitent les femmes, vient à peine de redémarrer, faute d’une disponibilité suffisante de l’eau.
Le jeu trouble des Etats
Retourner dans son pays de naissance, revoir le berceau de ses ancêtres. Les réfugiés mauritaniens de la vallée du fleuve ont cet espoir chevillé au corps. Un espoir qui a poussé un nombre considérable d’entre eux à tenter le retour. Selon le Hcr, 35 mille personnes sont rentrées spontanément en Mauritanie de 1996 à 1998. Vingt ans plus tard, en 2017, 24 mille réfugiés mauritaniens vivant dans plus de 250 emplacements différents au Sénégal, souhaitaient encore rentrer dans quelque 50 communautés, de quatre régions de la Mauritanie. La conclusion d’un accord tripartite entre les gouvernements mauritanien, sénégalais et le Hcr avait rendu ce rêve du retour plus palpable. Mais après deux décennies de tentatives mitigées, ces opérations de rapatriement ont cessé. Et ne subsistent dans les cœurs et les esprits des refugiés de la vallée qu’une multitude de questions.
Encadre Les réfugiés de Dakar parlent des mêmes maux
Le quartier est survolté à Guinaw Rail, dans la banlieue de Dakar. Partout, des drapeaux rappellent qu’une finale va opposer ce samedi après-midi, les deux équipes de football du quartier. Aux abords du marché Waranka, c’est dans le centre de santé du quartier que nous rencontrons Mamadou Lamine Ba, le coordinateur des organisations de réfugiés de Dakar. Arrivé au Sénégal à l’âge de 25 ans, il est aujourd’hui technicien en odontologie.
«J’ai eu une bourse du Hcr pour être infirmier d’Etat. Ensuite, j’ai suivi une formation de technicien supérieur en odontostomatologie. Mais je ne peux pas être recruté dans la Fonction publique et je suis mal payé», raconte-t-il. Ils sont nombreux, les jeunes diplômés issus de la communauté de réfugiés qui peinent à avoir un contrat de travail en bonne et due forme. Mamadou Lamine Ba dispose d’une carte d’identité de refugié valant titre de séjour. Mais depuis septembre 2023, celle-ci a expiré, et rien n’est encore clair quant au renouvellement de sa pièce.
Mame Woury THIOUBOU