C’est à Tunis, où je prends part aux activités d’un salon international du livre, que je viens d’apprendre la disparition du grand-frère Mame Less Camara.
Quelle perte immense pour le Sénégal ! Mame Less Camara était un homme intelligent, intelligent dans ses rapports avec son prochain, intelligent dans la gestion même de ses connaissances.
Je l’ai rencontré, un jour à la RTS, dans un sombre bureau, travaillant dans des conditions affreuses pour un homme de sa dimension. Il buvait dans un petit gobelet, ce café qui lui permettait de se laver des avatars de sa société, pour mieux rendre compte des faits qui se déroulaient sous ses yeux. Son esprit lucide ne commentait pas, il allait au-delà du simple commentaire de l’actualité, il décortiquait avec lucidité chaque référentiel comportemental de ses concitoyens, et offrait dans une écriture somptueuse, sa compréhension des actes de sa société. Chacun de ses articles était en soi des enseignements du tréfonds de nos soubresauts d’individus. Mame Less Camara avait, toujours, sans pour autant le signifier, la posture de l’éducateur. Et, sans vous écraser du poids de sa profonde connaissance de la société sénégalaise, il disait avec les mots justes, la voie(x) de la raison.
Oui, le Sénégal a perdu un grand journaliste et un grand homme. Et comme toujours, les grands hommes surprennent dans leur complet effacement. Mame Less s’est effacé sans murmure, sans nous encombrer de tristesse, d’apitoiement condescendants. Comme Elhadji Omar jadis sur les falaises de Badiangara, comme Khadim Rassoul, dans sa dernière retraite spirituelle, Mame Less Camara s’est effacé de notre vision au détour du chemin de vie. Certes, nos pauvres yeux n’auront plus l’occasion de contempler son élégante silhouette, sa bienveillante prestance, certes, nos oreilles ne recueilleront plus le murmure de sa grave parole, presque sentencieuse, mais la majesté de sa réflexion, jamais, ne quittera notre mémoire.
Mame Less Camara veillera, debout au plus profond de notre conscient collectif, comme une sentinelle, pour le bien de notre société.
Adieu grand frère et que Firdawsi t’accueille toi qui aimais si bien prôner ta part de mortel, croyant en Allah, Le sublime Créateur. A la vérité, en Lui nous venons et en Lui nous retournons, car nul d’entre nous n’échappera à la mort. Cependant Mame Less Camara nous a devancés ; désormais, il nous appartient, à nous qui l’avons aimé et admiré, de prier sur lui ; que donc la terre lui soit légère ! Adieu grand frère !
Seydi SOW
Ecrivain/Editeur Grand Prix Du Président de la République Pour les Lettres