« Les peuls sont l’un des peuples les plus persécutés d’Afrique, il ne faudrait pas y ajouter le Sénégal dans la liste longue de pays où les peuls sont indésirables. Ils ont été massacrés par Sékou Touré en Guinée, avec une récidive sous Alpha Condé. En 1989-91 ils ont été victimes d’un génocide avec déportation de +130 milles personnes vers le Sénégal et le Mali.
Il serait regrettable que les peuls du Sénégal soient à leur tour persécutés au point de fuir vers Mauritanie, Mali, Gambie, Guinée ou Guinée Bisau. » Siree KAN
Je n’ai pas habitude de m’ingérer dans les affaires de pays autres que la Mauritanie et pourtant, pour le Sénégal, mon pays de naissance et de primo enfance, j’ai toute légitimité pour le faire.
C’est mon pays et le fleuve n’est pas une frontière mais source de vie et de communion entre les deux rives. Notre famille a des terres de culture de part et d’autre et le soleil des indépendances n’y changera rien. Les peuples, par leur longévité, sont très soucieux de la conservation des liens ancestraux et ont plus d’expérience que les Etats issus de la balkanisation du continent à la conférence de Berlin.
Dans un article paru le 7 juin dernier j’écrivais : « Le Président Macky Sall, fort de ses réalisations en deux mandats, doit s’empresser de faire une déclaration claire pour sauver l’un des modèles de démocratie et de stabilité sur le continent. S’engager à ne pas se présenter à la présidentielle de 2024 et laisser tout le monde compétir. » Le 31 juillet, dans un tweet titré «
Démocratie en danger » j’apportais tout mon soutien au parti d’opposition PASTEF qui venait d’être dissous par le régime de Macky Sall. Décision incompréhensible.
Je dirais aussi que je fais partie des premiers opposants à Macky puisque je lui ai retiré ma confiance pour non respect de sa promesse électorale de ne faire 5 ans à son 1er mandat. D’ailleurs c’est de cette différence de durée de mandat qu’est née la polémique.
On se rappelle des propos de Barthélémy Dias, un opposant qui a légalisé le 3ème mandat. Je devais tout de même le respecter en tant que Président de tous les sénégalais. C’est pour rassurer tout de suite ceux ou celles qui se braqueront d’abord sur mon nom de famille. Macky Sall n’est pas le Président des peuls mais bien celui d’APR et de BENNO. Les politiques ou leurs militants doivent cesser d’ethniciser la crise qui a franchi un nouveau palier avec le report de l’élection présidentielle au 15 décembre.
On remarque une tendance lourde des partisans de l’opposition, particulièrement le Pastef que nous avons défendu, à verser dans la haine des peuls, cette pullophobie latente est extrêmement dangereuse et peut embraser le pays. Certains tentent de la flouer en exhibant la présence de peuls dans les rangs de l’opposition, ce déni s’effondre quand on constate la croissance exponentielle des insultes contre l’ethnie de Macky Sall à chaque nouvelle escalade.
L’acte de reporter l’élection est condamnable, Macky doit mettre fin à cette mascarade orchestrée par sa coalition hétéroclite BENNO qui l’a votée à l’assemblée, c’est un Coup d’Etat institutionnel. Ça n’est plus la légalisation du 3ème mandat, mais le maintien au pouvoir, et par la force, d’un Président ayant terminé son mandat. La constante est que les débats tournent autour du seul Macky, on oublie de creuser l’éventualité d’un coup d’Etat ou de préparer l’après Macky.
J’aborde la question en tant que mauritanien ayant observé, quand l’instabilité politique s’installe, des guerres civiles post-électorales, voire des génocides sans signal avant-coureur ou des violences inouïes allant jusqu’au terrorisme.
J’attire l’attention des sénégalais sur le risque de violences intercommunautaires qui nous feraient vite oublier Macky, Sonko, Mimi et les autres. Les peuls sont désignés par certains comme boucs émissaires de la politique du Président de la République. Cette analyse réductrice et éthnicisante du conflit politique ménera, si d’autres canaux de résolution de la crise ne sont pas trouvés, vers la tribalisation du Sénégal, pour ne pas dire sa somalisation ou soudanisation.
Ne perdons pas de vue la possible sécession des mourides, évoquée un moment, qui conduirait à un éclatement confessionnel, une libanisation du pays.
Vu la gravité de la situation, je crains que le Sénégal ne puisse s’en sortir sans médiation extérieure. La Cedeao et l’Ua, par leur mutisme sur le report de la présidentielle, se sont mises hors-jeu. Des pays à égale distance des belligérants, appuyés par exemple par les Nations-Unies, pourraient activer un protocole minimal visant à amener tout le monde à une table où l’exécutif sénégalais ne serait plus le seul maître du jeu.
En tous cas, il est impératif de sortir de la vision Macky dong moo yakk! Il appartient au système APR/BENNO qui dirige le Sénégal depuis 2012.
Je me suis égaré en cours de chemin et je dois répéter que la pullophobie [haine des peuls] larvaire est à traiter urgemment. Les partis devraient faire campagne pour combattre ce fléau avant que l’arène politique ne devienne définitivement une radio milles collines, celle qui avait préparé les hutus à massacrer 800 milles tutsis en 3 mois. Dieu en préserve mon Sénégal natal!
Epilogue
Il est nécessaire de laisser tout le monde compétir. Le cas Alassane Ouattara est encore présent dans tous les esprits. Son rejet pour non ivoirité a plongé la Côte d’Ivoire dans une guerre civile. 3 000 morts.
Les peuls sont l’un des peuples les plus persécutés d’Afrique, il ne faudrait pas y ajouter le Sénégal dans la liste longue de pays où les peuls sont indésirables. Ils ont été massacrés par Sékou Touré en Guinée, avec une récidive sous Alpha Condé. En 1989-91 ils ont été victimes d’un génocide avec déportation de +130 milles personnes vers le Sénégal et le Mali. Il serait regrettable que les peuls du Sénégal soient à leur tour persécutés au point de fuir vers Mauritanie, Mali, Gambie, Guinée ou Guinée Bisau.
Aujourd’hui c’est au Mali et au Burkina que les peuls sont les plus menacés. Il est important que cette exposition du peuple peul amène à une réflexion pour garantir leur sécurité en Afrique de l’Ouest, y compris le Sénégal qui peut connaître un scénario à la Alpha Condé par exemple. Ou un exécutif pullophobe, non par son sommet mais par ses démembrements.
En effet, l n’y a pas de discours officiel stigmatisant les peuls mais la massification de la haine à la base laisse craindre l’application de la pullophobie par des cadres de certaines formations politiques. Il est important que les leaders politiques luttent contre cela ouvertement et ne réservent pas toutes leurs cartouches au seul Macky, un mortel qui quittera le fauteuil présidentiel comme ses prédécesseurs.
8 février 2024
Siree KAN