Le registre des crimes contre l’humanité doit s’élargir et intégrer le tort répétitif fait aux paysans de la vallée qui subissent les agressions de chameaux, poussés par leurs propriétaires à se nourrir, à moindre frais, dans les vertes plaines de la zone.
Quel crime odieux! Qu’est ce qui le rend dissemblable de la bombe larguée sur un hôpital ? Dans les deux cas, c’est une espérance qu’on trucide, dans les deux cas, ce sont les plus faibles qu’on éprouve.
Le paysan investit dans son champ des forces essentielles. Il met à contribution toute la maisonnée pour mettre sur orbite sa campagne agricole, il enfouit en terre des graines qu’il aurait aimé manger, en ces temps de crise hispide où l’État hérisson se recroqueville dans sa carapace épineuse, pour fuir le regard des gueux.
Que ces sacrifices, consentis pour un mieux-être, finissent dans les panses de chameaux insatiables est une insulte au courage, à l’esprit d’initiative et à la volonté des autochnones de vivre dignement sur les terres de leurs ancêtres. Comment ne pas qualifier d’inhumaines ces descentes de chameaux sur des terres exploitées ! Comment peut-on cautionner de telles provocations sur des citoyens qui n’ont commis que le seul tort de s’agripper à la dernière marque de leur Mauritanie, pour en vivre et pour clamer, à la face des intolérants, leur volonté de demeurer, tout au moins, citoyens de leurs terres.
En Mauritanie , un tel crime est cautionné par les autorités locales qui usent de l’arme du dilatoire et de la subtilité en refusant d’arbitrer équitablement, en couvrant les agresseurs et leurs hardes d’animaux et en distillant des menaces madrées, parti pris flagrant pour les propriétaires de bêtes et, au-delà d’eux, pour le système anachronique qu’ils servent, avec, toujours, un trop plein de zèle et ses mièvres réflexes de colons se croyant en pays conquis.
Tuer des plantes, à leur balbutiement ou à leur âge mature, est un crime pareil à un puissant lâcher puisqu’avec elles, on assassine la vie, on concasse l’espérance vitale à l’équilibre du monde.
En Mauritanie, de braves paysans, délaissés par un État famélique, vivent le calvaire de ne jamais goûter aux fruits de leur labeur, la faute aux chameaux introduits, par fait du prince, dans leurs carrés agricoles pour les dissuader de se fixer sur les terres héritées de leurs ancêtres.
Certes, on massacre ailleurs des enfants innocents mais ici, dans cette Mauritanie peinant à se regarder, on abrège la vie de la jeune plante sortie de terre, par la volonté de mains d’hommes, pour donner le haricot secouant durant la morte saison ou la carotte enjolivant le bol de riz, à côté d’autres légumes soutenant des corps de plus en plus rachitiques.
Pourquoi un tel délit, un crime aussi inénarrable, n’est-il pas ajouté au registre des crimes contre l’humanité ? Sevrer des populations des fruits de leurs terres, n’est-il pas un crime comme un puissant lâcher de bombes? Dans les deux cas, au final, c’est la vie qu’on assassine, là-bas par le fracas des missiles, ici par le silence absurde de la diète.
Penseurs du monde, intégrons ce crime sans écho dans le lot de ceux qui nous font vaciller, qui nous poussent à l’errance et qui nous rappellent notre fatale imperfection.
Ba Souleye Oumar, Niabina Mauritanie
Professeur, Ecrivain