Un vote illégitime ? C’est en tout cas ce qu’affirment les Etats-Unis, après le vote du report de la présidentielle au Sénégal au 15 décembre. « Compte tenu des conditions dans lesquelles il s’est déroulé, le vote de l’Assemblée nationale ne peut être considéré comme légitime », estime Washington.
Depuis samedi, le Sénégal est plongé dans une grave crise politique. Le président Macky Sall, au pouvoir depuis 2012, a repoussé sine die le scrutin présidentiel qui devait avoir lieu le 25 février au 15 décembre. Le report a été entériné par un vote du Parlement lundi soir dans une ambiance chaotique, avec 105 voix pour et une voix contre. Juste après que les députés de l’opposition, qui faisaient obstruction au vote, ont été évacués manu militari par la gendarmerie.
Résultat, les Sénégalais, qui devaient élire leur cinquième président le 25 février le feront presque dix mois plus tard que prévu, si les choses ne changent pas d’ici là. Outre le report, une alliance de 105 députés du camp présidentiel et de partisans du candidat recalé Karim Wade a approuvé le maintien à son poste du président Macky Sall jusqu’à l’installation de son successeur, très vraisemblablement début 2025. Pour rappel, le mandat de Macky Sall, élu en 2012 et réélu en 2019, arrivait à expiration le 2 avril.
L’opposition sénégalaise crie au « coup d’Etat constitutionnel » mais n’a pour l’instant pas réussi à faire bloc. « La situation est complètement catastrophique, l’image du Sénégal est ruinée et je ne pense pas que nous nous relèverons de sitôt de cette faillite démocratique, de ce tsunami dans l’état de droit », a réagi après le vote Ayib Daffé, un député de l’opposition.
Dans ce pays considéré comme un îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest, la tension est montée d’un cran. Cette décision sans précédent, dénoncée par ses détracteurs, a provoqué un tollé parmi les candidats qualifiés et dans la société civile, y compris dans les milieux religieux. Le report et les conditions dans lesquelles il a été entériné ont suscité une indignation largement partagée sur les réseaux sociaux, malgré la suspension de l’internet des données mobiles par le gouvernement depuis lundi. Mais la protestation est restée limitée et l’activité, à l’arrêt lundi, revenait à la normale mardi à Dakar. Des tentatives de manifestations ont été réprimées dimanche et lundi.
L’instabilité nouvelle dans le pays inquiète jusque sur la scène internationale :
« Les Etats-Unis sont profondément préoccupés par les mesures prises pour repousser l’élection présidentielle du 25 février au Sénégal, une mesure qui va à l’encontre de la forte tradition démocratique du pays », a alors déclaré Matthew Miller, porte-parole au Département d’Etat, cité dans un communiqué publié dans la nuit de mardi à mercredi.
Il demande également de veiller au respect des libertés de réunion pacifique et d’expression, y compris pour les membres de la presse.
Outre les Etats-Unis, la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’Union africaine, l’Union européenne, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, partenaires importants du Sénégal, ont également exprimé leur inquiétude.
De nombreuses organisations de défense des droits, sénégalaises et internationales, ont réprouvé les restrictions à internet ainsi que la suspension de la licence de la télévision privée Walf TV. Elles ont appelé les autorités à se garder d’un usage excessif de la force, des arrestations arbitraires et des atteintes aux libertés.
« Le Sénégal est considéré de longue date comme un modèle de démocratie dans la région. Cette réalité est aujourd’hui menacée », a écrit de son côté Human Rights Watch.
La crise fait redouter au Sénégal un nouvel accès de fièvre comme ceux qu’il a connus en mars 2021 et juin 2023, qui ont causé des dizaines de morts et donné lieu à des centaines d’arrestations. Le flou maintenu pendant des mois par le président Sall sur une nouvelle candidature en 2024 avait contribué aux crispations à l’époque. Il avait pourtant finalement annoncé en juillet 2023 qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat.
LA TRIBUNE AVEC AFP