Après le scrutin présidentiel du 29 juin en Mauritanie avec la victoire très contestée du Président sortant Mohamed Ould El-Ghazaouani, la rédaction de Senescoop Media a donné la parole à Houleye Thiam, chargée des Médias et Communication de la Coalition BiramPrésident 2024. Dans ce court entretien, Madame Thiam revient sur le déroulement de la Présidentielle, les résultats contestés de la Commission Nationale Electorale Indépendante (CENI), la position de la Coalition BiramPrésident et enfin sur les évènements malheureux intervenus au sud pays qui ont occasionné la mort de six (6) personnes à Kaédi.
INTERVIEW…
Senescoop Media : Bonjour Houleye Thiam, le 29 juin les Mauritaniens étaient appelés aux urnes pour élire un nouveau Président de la République. Quelles sont vos impressions sur le déroulement du scrutin ?
Houleye Thiam : Bonjour, merci de m’avoir cette opportunité pour me prononcer de la situation en Mauritanie. Mes impressions par rapport aux élections du 29 Juin sont d’une fierté, d’un enthousiasme doublé d’une tristesse et d’une déception. Premièrement, je suis fière de la jeunesse Mauritanienne qui a enfin pris son destin en main. Quand j’ai vu des vidéos, ces jeunes si plein d’espoir, qui ont participé à l’élection avec enthousiasme et fierté voulant être des acteurs du changement, je sens une fierté extrême, car un pays ne peut changer au-delà de sa jeunesse. Je suis triste par rapport à l’accaparement de cette victoire par Ghazaouani et sa CENI mais surtout la conduite sans éthique de la CENI qui est censée être indépendante. D’après les procès-verbaux issus des urnes que notre candidat Biram Dah Abeid a majoritairement gagné partout dans les grandes villes, de Sélibabi, à Rosso en passant par Kaédi, et Boghé. Donc au pire des cas, il devrait au moins y avoir un second tour, mais ceci serait très risqué pour le chef de fil de d’INSAF et ses acolytes.
Je voulais ajouter que si l’on devait comparer les pays africains dans leur résistance à enclencher la démocratie, au regard de l’opacité des élections, des pesanteurs et des insuffisances notoires à ce sujet, la Mauritanie serait classée dernière. Aujourd’hui on assiste, comme nulle part ailleurs à un achat massif des consciences, ouvertement encouragé par l’Etat et le parti au pouvoir, aux ’intimidations et menaces, à la chape tribale, au carcan ethnique, au contrôle exclusif du ministère de l’intérieur en amont et en aval du processus électoral qui s’arroge le droit et la force de priver les opposants jusqu’aux procès-verbaux des dépouillements du vote. On ne peut pas parler d’élection mais de mascarade en Mauritanie, un opposant ne peut pas gagner avec ce type d’élections à moins de faire allégeance au Système.
Senescoop Media : La CENI a confirmé la victoire du Président sortant Ghazaouani avec plus de 55% des voix. Au même moment, son principal opposant Birame Dah Abeid et sa coalition contestent les résultats et demandent le respect de la volonté populaire. Comment la coalition de BiramPrésident compte mener le combat pour le respect de la volonté des Mauritaniens ?
Houleye Thiam : La coalition BiramPrésident est encore sous le choc et nous sommes en train de compiler toute notre documentation pour faire face à la presse national et international afin de justifier notre victoire et faire des recours nécessaires au-delà du pays et les institutions internationales que sont les Nations-Unis, l’Union Africaine et autres acteurs et partenaires de la Mauritanie. Certains me diront le recours devrait se faire d’abord au niveau de la cour constitutionnelle nationale, mais sachant que les institutions ne sont nullement indépendantes en Mauritanie, on sait que ce recours était perdu d’avance, et aussi 48 heures ne sont nullement suffisantes dans les conditions actuelles du pays pour compiler toute la documentation nécessaire sur l’étendue du terrain afin de déposer ce recours à temps. Nous le savons tous, rien n’est fait par hasard en Mauritanie.
Senescoop Media : Houleye, nous avons assisté à des émeutes au Sud du Pays qui ont occasionné de six (6) morts. Quelle analyse faites-nous la crise post électoral ?
Houleye Thiam : Tout d’abord, je dis Ina lilaahi wona ileyhi rajoun, (A Dieu nous appartenons à lui retournons). Je présente mes condoléances aux familles des victimes. Ces jeunes à la fleur de l’âge ont été sauvagement assassinés par le système en place, ce qui n’est pas nouveau en Mauritanie. Leur seul tort est d’avoir été victime de la frustration de ce système et ses acolytes négro-africains qui pensaient qu’ils pouvaient continuer à contrôler la vallée avec l’achat des consciences. Cette fois-ci ça n’a pas marché, et ceci est un choc énorme pour Ghazaouani et ses collaborateurs qui n’arrivent pas à digérer cet échec monumental et médiocre. Et je prédis qu’ils vont continuer à échouer, car la Mauritanie n’est plus la même. Les choses ont changé et nous exhortons au système de changer ou périr, ce qui n’est pas chose facile car notre Raïs n’a pas les moyens de sa politique pour marquer de vision, de connaissance des hommes, mais surtout de perception claire sur les véritables maux de notre pays et l’ordre de priorité des choses. D’où l’instabilité du gouvernement constatée au vu des changements multiples à la tête de certains départements, ou postes, en l’espace de quelques mois ! Enfin ce Président n’échappe pas, comme beaucoup parmi nous, à l’emprise de son milieu ; comme pour la plupart, il demeure produit et prisonnier de son environnement, prototype. Le désert façonne à sa façon, tout comme la savane. Pour se distancier de cette entrave, Souleymane B Diagne -philosophe- rapporte deux idées importantes qui y participent : « savoir penser contre soi », « se déprendre des significations immédiates dans lesquelles nous retiennent la culture et les religions ».
Senescoop Media : Quel est votre dernier mot ?
Houleye Thiam : Je tiens juste à réitérer ma fierté par rapport à la population Mauritanienne, qui a voulu le changement et qui s’est battu pour le respect de la volonté populaire. Je suis également fière de la jeunesse qui s’est levée comme une seul homme pour prendre son destin en main, je leur dit BRAVO. Je trouve que malgré la déception de ces élections, c’est une grande victoire de l’opposition, une victoire en conscientisation, une victoire en fierté d’être libre, mais surtout une fierté d’avoir enfin dit un « Niet » catégorique à Ghazuani et ses collaborateurs. Je lance un appel aux Africains et surtout aux Sénégalais de nous soutenir dans ce combat pour la liberté en Mauritanie, car comme le disait Martin Luther King : « Injustice anywhere Is a threat to justice everywhere » (L’injustice partout est une menace pour la justice partout). MERCI
Propos recueillis par Yéro Guissé, Senescoop Media