Confronté à une période de crispations diplomatiques avec ses partenaires du Maghreb, le Président Macron tente de rétablir des relations fortes par un premier déplacement à Alger.
Juillet 2007. Nicolas Sarkozy, tout fraîchement élu Président de la République française, veut entamer son quinquennat par un voyage au Maghreb pour son premier déplacement hors d’Europe, afin de consolider l’influence de la France dans cette région ô combien stratégique pour Paris. Mais, aveuglé par une confiance inébranlable en sa nouvelle dimension de chef d’Etat d’une ancienne puissance coloniale auquel on ne peut rien refuser, le président Sarkozy programme une brève tournée qui devrait le conduire, après Alger et Tunis, à Rabat comme dernière étape de ce périple maghrébin. Mais, coup de tonnerre à la veille du départ de cette tournée !
Alors que Nicolas Sarkozy se prépare pour débuter son voyage le 10 juillet, Rabat annonce dans la journée du 09 juillet le report de la visite du Président français au Maroc. Sarkozy a appris à ses dépens qu’on ne programme pas une visite au Royaume du Maroc, allié traditionnel de la France, en clôture d’une tournée dans la région et pour une rencontre qui ne doit pas dépasser quelques heures seulement, comme prévu initialement par l’Elysée. Trois mois plus tard, Nicolas Sarkozy, « l’homme pressé », sera accueilli cette fois en grande pompe le 22 octobre à Marrakech pour une visite d’Etat au Maroc qui s’étalera sur trois jours.
Depuis cet épisode, les chefs d’Etat français qui ont succédé à Nicolas Sarkozy ont toujours respecté cette habitude – d’accorder la première visite hors d’Europe à un Etat du Maghreb – tout en prenant soin de ne froisser aucune susceptibilité. Ainsi, François Hollande, qui avait reçu juste après son investiture SM le Roi Mohammed VI à Paris pour une première rencontre officielle, a ensuite accordé sa première visite en Afrique à l’Algérie, dans une volonté de maintenir l’équilibre et de ne fâcher aucune partie. Car au-delà de la rivalité entre les deux puissances régionales, Rabat et Alger voient leur partenariat avec la France sous un prisme différent.
Pour le Maroc, la France est un partenaire économique de premier plan et un allié fiable qui a été le premier pays européen à soutenir le plan d’autonomie pour le Sahara, soumis par le Maroc en 2007. Pour l’Algérie, la donne est beaucoup plus sensible. Malgré des intérêts économiques partagés, la question mémorielle demeure une éternelle pierre d’achoppement qui provoque encore des crispations et des ressentiments à la moindre bisbille entre Paris et Alger.
Enfin, Paris partage avec les deux places fortes du Maghreb le souci de la gestion des problématiques migratoire et sécuritaire, sans parvenir pour autant à les faire collaborer ensemble malgré des intérêts sécuritaires communs, dont la nécessité de lutter contre la menace terroriste dans la région.
Juillet 2022. Autre époque, autre usage. Emmanuel Macron a cette fois-ci rompu avec cette tradition. Son premier voyage hors d’Europe pour ce deuxième mandat l’a conduit au Cameroun, puis au Bénin et enfin à la Guinée Bissau. Sans doute pour avoir l’assurance d’être accueilli avec bienveillance par Paul Biya, l’ami de toujours de la France, afin de redorer l’image de la France en Afrique, ternie par le retrait chaotique des forces armées françaises du Mali. Puis un mois après, le président Macron s’est rendu à Alger à la suite d’une année de brouille diplomatique, pour effacer les malentendus et ouvrir « une page nouvelle » dans les relations bilatérales avec l’Algérie. Mais dès son arrivée, il a dû s’employer pour essayer de convaincre les médias que sa visite n’était pas dictée par la crise énergétique et le besoin pour la France d’assurer son approvisionnement énergétique auprès d’Alger.
Ceci, dans un contexte où, à l’image du gouvernement italien, les pays de l’UE s’empressent de conclure individuellement des accords bilatéraux avec les pays producteurs de gaz, alors que la présidence de la Commission Européenne préconise de trouver une solution commune à la sécurité énergétique des pays de l’Union.
Paris : comment rétablir les liens sans froisser aucune des deux parties ?
Mais d’autres dossiers étaient sur la table pour cette visite qui s’annonçait délicate pour le Président français. D’abord, sur un plan strictement bilatéral, Alger attendait des excuses, voire une repentance des crimes commis par la France durant la période de colonisation. Mais tout ce que le régime algérien a pu obtenir c’est une « reconnaissance » des torts de l’ex-puissance colonisatrice, exprimée par Emmanuel Macron.
Par ailleurs, le locataire de l’Elysée était également attendu sur le terrain glissant du dossier sur le Sahara marocain. Mais, fidèle à son jeu d’équilibriste entre Rabat et Alger, Macron s’est bien abstenu de faire le moindre commentaire sur cette question, alors que le Président Tebboune avait laissé croire que le dossier du Sahara était au menu des discussions entre les deux chefs d’Etat.
Néanmoins, Emmanuel Macron devra bien clarifier la position de la France sur ce dossier très prochainement. Et ce sont la préservation et la pérennité du partenariat stratégique avec le Maroc qui sont en jeu. Car SM le Roi Mohammed VI a été très clair sur ce sujet : « Le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international ».
Ainsi, si le Maroc attend une prise de position plus engagée de la France sur ce dossier, le régime algérien aurait sans doute profité de la visite de Macron afin de lui mettre la pression pour que la France maintienne son statu quo, voire pire. Selon Benoît Delmas, journaliste français au journal « Le Point » et spécialiste du Maghreb : « Le Maroc souhaiterait que la France prenne plus ouvertement position en faveur du Maroc dans le dossier du Sahara, mais ça n’arrivera pas, car Macron ne va certainement pas amorcer un changement de la politique étrangère française sur ce dossier ».
Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), est du même avis : « La position de la France n’a pas changé depuis 2007 et la France estime qu’elle ne peut pas faire plus que ce que l’ONU préconise ».
Alors que le Président Macron n’a accompli que la première étape dans sa quête de réchauffement et de renforcement des relations avec les deux puissances du Maghreb durant sa visite à Alger, il semble d’ores et déjà que la deuxième étape à Rabat sera plus périlleuse. Déjà parce qu’Emmanuel Macron, dans la désinvolture et l’assurance qui le caractérisent, a pris la liberté d’annoncer sa prochaine visite au Maroc en octobre à des ressortissants marocains vivant en France dans un échange verbal en marge d’un festival de musique au Touquet, avant que la vidéo de cet échange ne soit abondamment partagée sur les réseaux sociaux. Mais surtout car le Maroc ne se contentera pas d’une visite de courtoisie sans volonté claire de la France de revoir sa politique envers le Maroc. Cela impliquera nécessairement un soutien plus significatif de la France vis-à-vis de la position marocaine dans le dossier du Sahara et une levée des restrictions concernant l’octroi des visas qui cristallise actuellement la colère et l’indignation des Marocains.
Ainsi, jusqu’à quand le Président Macron continuera-t-il son jeu d’équilibriste en sachant qu’il doit rétablir la profondeur des liens avec le Maroc et l’Algérie sous peine de perdre définitivement l’influence historique française dans cette région ?. Car, comme le précise Benoît Delmas, l’auteur de La Lettre du Maghreb dans le journal « Le Point » : « Avant, le Maghreb c’était le pré carré de la France, mais comme la France a pris de mauvais choix et de mauvaises orientations ces dernières années, elle commence à perdre de son influence dans la région ».
Nizar Derdabi