Le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh Ghazouani vient d’accorder une interview au Quotidien étatique « Horizons », donc évidemment, dépourvue de questions trop embarrassantes si elles ne sont pas partisanes.
Il n’est malheureusement pas soulevé dans cet entretien plutôt « décoratif », de sujets chauds d’actualité qui interpellent en premier lieu le Chef de l’Etat sur les contours de sa gouvernance vacillante encore profondément plombée par l’administration rompue à la corruption et au chauvinisme des régimes précédents.
En effet, face à un homme d’Etat qui tolère en principe la liberté d’expression tout en tenant fermement à la loi controversée sur les symboles nationaux, l’homme fort de Nouakchott devait être logiquement interpellé, l’actualité oblige, même en prenant la prudence de ne pas le brusquer pour un organe public, sur le passif humanitaire, les violences policières, les cas esclavagistes reconnus par des institutions publiques, les incidents malheureux de R’Kiz, Bababé, Ngawlé, Bassiknou…ect.
Il n’en a cependant pas été à son grand confort, ce qui a presque failli assimiler l’entretien au style de langue de bois.
Toujours est-il que dans l’interview du président , qui ne réserve pas au lecteur de surprise ou de singularité particulière, dés lors où elle ne déroge pas à la sacrosainte règle des entretiens ordinaires sur fond d’embellie de la gestion de l’Etat, Ould Ghazouani revient entre autres sujets sur les concertations politiques en cours, qualifiant la politique d’exercice « qui permet aux acteurs qui la pratiquent de se mettre au service de l’intérêt général ».
Et d’ajouter : « Nous supposons que tous les acteurs travaillent justement pour le bien-être général ».
Pour l’homme fort de Nouakchott « il y a donc un minimum de choix sur lesquels on peut s’entendre et pour lesquels on peut établir, d’un commun accord, une hiérarchie de priorités ».
ci-après l’intégralité de cet entretien:
Horizons : Les Mauritaniens commémorent le 61e anniversaire de l’indépendance nationale alors que le pays a franchi d’importantes étapes de la mise en œuvre de votre programme électoral (Mes Engagements) ; Comment voyez-vous le renforcement du principe d’indépendance à la lumière de ce programme inclusif ?
Le Président de la République : Permettez-moi de saisir l’occasion du 61e anniversaire de l’indépendance de notre chère patrie pour féliciter chaleureusement le peuple mauritanien. C’est le lieu de rendre un vibrant hommage aux héros de notre vaillante résistance pour les valeureux actes de bravoure et de sacrifice accomplis afin de préserver notre identité et de sauvegarder notre patrimoine civilisationnel.
Mes remerciements et mon hommage s’adressent également aux forces armées et de sécurité ainsi qu’aux pères bâtisseurs de l’Etat mauritanien moderne et à ceux et celles qui ont contribué à l’édifice de construction nationale pour en fortifier les bases, dans des conditions pas toujours favorables.
L’accès à l’indépendance est un évènement majeur pour les peuples dans la mesure où il leur permet de recouvrer leur dignité, leur fierté et leur souveraineté. Etant conscients que ces acquis constituent le fondement essentiel de la dignité humaine, nous avons tenu à ce que notre programme auquel a adhéré le peuple mauritanien vienne les préserver et les consolider. C’est pourquoi il s’était articulé autour des principaux axes suivants :
● Un État fort moderne au service du citoyen ;
● Un climat politique apaisé et des institutions solides ;
● L’intégrité territoriale préservée et un citoyen protégé ;
● Une administration efficace au service du citoyen ;
● Une lutte renforcée contre la corruption et la gabegie ;
● Une économie résiliente et engagée sur le chemin de l’émergence.
Pour en venir à votre question, c’est au peuple, en premier lieu, d’évaluer ce qui a été réalisé. J’estime que depuis ma prise de fonction, des étapes importantes ont été franchies sur la voie de la mise en œuvre de ce programme malgré des défis imprévus comme la COVID-19.
Horizons : Dès votre prise de fonction, vous avez opté pour un processus de refonte de l’Etat. A quel point cette refonte a été conduite de manière équitable?
Le Président de la République : Nous avons d’abord voulu rehausser la qualité des institutions afin qu’elles garantissent la stabilité et la justice.
Nos priorités restent la défense de l’intégrité territoriale du pays et la protection de nos citoyens.
Dans un monde où les menaces sont multiformes, notre stabilité devient l’un des facteurs de notre rayonnement à l’international. Elle assure aussi la mise en œuvre des programmes économiques de développement. Mais elle ne peut se réaliser que dans le respect des droits et le renforcement des libertés. Aussi, avons-nous travaillé pour l’épanouissement de la société civile et pour l’apaisement des relations entre les acteurs politiques et sociétaux.
Nous sommes sûrs de pouvoir réaliser une équation juste et gagnante entre des institutions fortes et solides et un climat serein. Nous avons travaillé pour consolider le respect du principe de la séparation des pouvoirs.
Horizons : Ce processus a-t-il permis de corriger les disfonctionnements de manière à asseoir les fondements d’une solide résilience face aux différents défis sécuritaires, sanitaires, économiques, sociaux et environnementaux ?
Le Président de la République : Le processus de normalisation de la vie publique a permis d’instaurer un climat de confiance. Cela permet d’envisager l’avenir avec beaucoup plus de sérénité. Notre peuple a donné la preuve de sa capacité à faire face à des défis réels pour lesquels des réponses immédiates et globales ont toujours été données.
Horizons : Justement dans votre programme, vous avez souvent évoqué la situation sociale qui doit être améliorée positivement. Etes-vous satisfait du niveau de progression atteint dans ce domaine ?
Le Président de la République : Je n’ai pas seulement «évoqué» la situation sociale, mais j’en ai fait une priorité. Ce qui a permis de parer au plus urgent quand la pandémie de la Covid19 a frappé ajoutant des complications à la situation déjà alarmante. Ailleurs, nous avons vu comment des systèmes sanitaires beaucoup plus performants que le nôtre ont plié.
Nous avons pu rapidement réagir pour alléger les souffrances occasionnées par la pandémie. Sur le plan sanitaire, notre système de santé a bénéficié d’une grande attention pour lui permettre de prendre en charge les malades et d’organiser la riposte par la sensibilisation et l’anticipation sur l’évolution de la situation.
Les réponses économiques et sociales ont été apportées pour venir en aide aux populations : un fonds de solidarité nationale a permis de mobiliser les moyens financiers pour ce faire ; des aides ont été distribuées aux nécessiteux… En plus d’un package de mesures destinées à accompagner l’ensemble des citoyens. C’est dans ce cadre qu’il y a eu la prise en charge en partie ou en totalité des charges de l’eau et de l’électricité, la distribution de produits alimentaires et d’aides en nature.
Il faut noter aussi la prise en charge de l’assurance maladie de plus de 620 000 citoyens en situation de vulnerabilité. Une grande étape dans l’accès universel aux services de la Caisse nationale de l’assurance-maladie.
Nous sommes convaincus que la situation sociale demande des efforts sérieux et continus. C’est pourquoi elle est et demeurera au centre de nos préoccupations.
Horizons : L’école est aussi au centre des préoccupations de votre programme. Vous avez promis de fonder l’école de la République. Où en est-on ?
Le Président de la République : Vous savez bien que pour accéder à la modernité, il nous faut une école capable d’éradiquer l’ignorance et l’analphabétisme qui accompagnent inéluctablement la pauvreté, une école à même d’assurer la préparation de générations pour servir et assurer le progrès social et le développement durable dans le pays.
L’école à laquelle nous croyons doit être rénovée pour lui permettre d’être ce moule par lequel nous pourrons perpétuer une personnalité mauritanienne authentique et ouverte sur le monde. Notre système éducatif a besoin d’être profondément réformé. Ce que nous avons commencé par de larges concertations qui ont impliqué l’ensemble des acteurs de l’éducation. Il en est sorti un package de recommandations qui seront prises en compte dans la stratégie à mettre en œuvre.
Les nouvelles fondations favoriseront l’éclosion d’un système éducatif qui renforce le sentiment de citoyenneté sur la base des valeurs d’une République juste et équitable.
Horizons : Alors que le consensus national a constitué le slogan de cette étape, vous avez annoncé le lancement de concertations inclusives dont la première étape a été engagée. A quel point ce processus de concertations permettra-t-il au pays de se prémunir contre les guéguerres politiques stériles et fatales pour tout processus de développement ?
Le Président de la République : La politique n’est assurément pas un jeu de société mais bien un exercice qui permet aux acteurs qui la pratiquent de se mettre au service de l’intérêt général. Nous supposons que tous les acteurs travaillent justement pour le bien-être général. Il y a donc un minimum de choix sur lesquels on peut s’entendre et pour lesquels on peut établir, d’un commun accord, une hiérarchie de priorités.
Horizons : Presque deux ans et demi d’un mandat de cinq ans. Un temps consacré à apaiser, à soigner les blessures et à refonder. Quelles sont les priorités dans l’immédiat ?
Le Président de la République : Justement, c’est d’abord consolider le socle sur lequel nous avons commencé à construire. Sans renier les héritages positifs, nous entendons renforcer la transparence dans la gestion publique en rendant plus efficaces les mécanismes de contrôle et en imposant la reddition de comptes.
Il va falloir rattraper le temps perdu en matière de maillage du pays en termes de routes, de réseaux électriques, d’approvisionnement en eau et d’infrastructures scolaires et sanitaires. Nous avons aussi à cultiver le travail comme valeur et comme voie d’émancipation pour l’individu et pour la communauté. C’est ici le lieu de rappeler combien le concept de sécurité alimentaire entre dans le champ de la stabilisation et de l’essor du pays.
Il y a urgence de soutenir les franges les plus fragiles de notre société pour les aider à se prendre en charge et à recouvrer leur droit de vivre dignement.
Quand j’y pense, je me rends compte que c’est tout un programme et je me console du fait que nous avons pris le bon chemin pour le réaliser.