Depuis l’indépendance de la Mauritanie en 1960, le pays peine à forger une identité nationale inclusive respectueuse de sa diversité ethnique, culturelle et linguistique. Ce défi a particulièrement affecté les communautés négro-africaines du Sud, souvent marginalisées par un État central dominé par une élite arabo-berbère. Dans ce contexte, Ciré Kane, militant politique et intellectuel engagé, a lancé le Projet Makka pour l’indépendance du Tekrour, une initiative inédite qui propose une reconfiguration radicale de l’espace politique mauritanien. Ce projet, loin d’être un simple repli identitaire, se veut une réponse innovante à l’impasse structurelle de l’État-nation mauritanien. Il repose sur une relecture historique du royaume du Tekrour et une volonté de réhabilitation politique des peuples noirs mauritaniens.
Une innovation politique fondée sur la mémoire historique et le droit à l’autodétermination
Le Projet Makka est novateur en ce qu’il propose une alternative politique fondée sur l’histoire et non sur l’idéologie racialiste ou revancharde.
En ressuscitant l’idée du Tekrour — ancien royaume ouest-africain islamisé au XIe siècle et centre politique d’importance avant son absorption par l’Empire du Mali — Ciré Kane inscrit sa revendication dans une tradition politique propre aux peuples du Sud mauritanien.
Ce recours au passé précolonial permet de déconstruire le récit national arabo-islamique exclusif, imposé depuis l’indépendance, et d’opposer à l’« unité imposée » de la Mauritanie une autre forme de souveraineté : celle des peuples qui ont été ignorés, effacés ou instrumentalisés.
En cela, le Projet Makka participe d’une dynamique postcoloniale de reterritorialisation des appartenances, dans un esprit comparable aux mouvements d’autodétermination kabyles, amazighs ou noirs sud-africains dans l’ère post-apartheid.
Il ne s’agit donc pas d’un projet ethnique, mais d’un projet politique de réhabilitation de l’histoire et de l’autonomie des peuples dans le cadre d’un nouvel ordre plus juste.
Une réponse à l’échec systémique de la Mauritanie postcoloniale
La radicalité du projet s’explique par l’échec patent de tous les régimes successifs à instaurer une société inclusive. De Moktar Ould Daddah à Mohamed Ould Ghazouani, en passant par Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, les gouvernements mauritaniens ont systématiquement marginalisé les Noirs dans les sphères de décision, dans l’accès à la terre, à l’éducation, à la citoyenneté et à la mémoire nationale.
Les événements tragiques de 1989-1991 — déportations massives, exécutions sommaires, confiscation de terres et de papiers d’identité — sont restés impunis, et les tentatives de réconciliation ont été superficielles. Dans ce contexte, Ciré Kane considère que le vivre-ensemble dans les frontières actuelles relève d’une fiction politique entretenue par la répression, l’amnésie et l’instrumentalisation du religieux.
Il pose alors une question essentielle : peut-on encore coexister dans un cadre national qui nie l’existence même d’une partie de ses enfants ?
Les implications géopolitiques et philosophiques du Projet Makka
Le Projet Makka se distingue par son articulation entre une critique radicale du nationalisme mauritanien et une vision constructive d’un État alternatif, ancré dans une tradition africaine de souveraineté partagée et d’islamisation endogène. Il ne s’agit pas de diviser pour dominer, mais de reconstruire l’unité à partir du respect des diversités.
Le projet assume le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, non comme un repli, mais comme une ouverture à de nouvelles formes d’universalité politique.
Dans un monde où les identités imposées explosent sous la pression des injustices historiques, le Projet Makka pose une question fondamentale aux élites africaines : peut-on continuer à défendre des États issus de la colonisation si ceux-ci deviennent des instruments de domination interne ?
À cette question, Ciré Kane répond par une initiative audacieuse qui pourrait inspirer d’autres peuples marginalisés sur le continent.
En lançant le Projet Makka pour l’indépendance du Tekrour, Ciré Kane propose bien plus qu’une revendication territoriale : il ouvre un horizon critique et politique face à l’impasse de l’État mauritanien. En inscrivant son projet dans une histoire oubliée, en dénonçant l’ethnocide administratif et en appelant à une refondation des souverainetés, il incarne une figure de rupture et d’innovation dans un pays où le débat politique est souvent confisqué.
Ce projet pose une question dérangeante mais salutaire : la paix sociale peut-elle reposer sur l’oubli et la soumission ? Ou bien faut-il repenser les fondations mêmes de la citoyenneté et de l’unité nationale ?
Daouda Dia Moussa