Au Burkina Faso les deux mutineries, celle du 30 septembre 2022 et celle de janvier 2022 avaient comme on pouvait s’y attendre donné un avant-gout très clair de ce qui se tramait dans ce pays. En janvier 2022, Paul-Henri Sandaogo Damiba, sous prétexte que le régime civil burkinabé était incapable de faire face à la montée de la violence, avait pris le pouvoir au président Roch Marc Christian Kaboré.
En octobre 2022, dix mois seulement après son arrivée à la tête Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration dont il se proclamait leader, Paul-Henri Sandaogo Damiba avait été éjecté de la tête du pays. Ses frères d’armes l’avaient écarté lui reprochant d’avoir trahi leur confiance et d’avoir été incapable de restaurer la sécurité et l’intégrité du territoire.
Il avait donc été remplacé à la tête de la junte par le capitaine Ibrahim Traoré.
Les militaires justifient ce coup d’Etat dans « le coup d’état », par l’incapacité du gouvernement à contenir l’insurrection djihadiste et à mettre en place une stratégie de défense pour lutter contre les terroristes enrôlés dans groupes armés qui ont occupé pratiquement près de 40 % du territoire du Burkina Faso.
Le Mali, ce pays voisin du Burkina Faso, est depuis 2012 plongé dans des crises sécuritaires et politiques multiples, profondes et désastreuses. Le pays des dogons avait été lui aussi le théâtre de deux coups d’Etat conduits par des officiers affiliés à un même groupe. Le premier coup d’état avait eu lieu en août 2020 et le second en mai 2021.
Le pays après le second coup d’Etat, celui de 2021, avait humilié la France par un divorce qui, non pas seulement ne s’expliquait pas, mais surtout ne se justifiait pas. Les autorités militaires maliennes qui s’étaient emparées du pouvoir avaient prises leur distance de la France et des autres pays européens et avaient contracté un mariage avec la Russie. Il faut dire que, depuis quelques années déjà, les russes à travers le Groupe Wagner vendaient leur présence aux pays africains en difficultés face au terrorisme.
Le Groupe Wagner, est une force paramilitaire russe composée de véritables « tueurs en séries » généralement déployés sur des terrains de théâtres de grands conflits. Les paramilitaires de Wagner sont actuellement mobilisés au Sahel (Burkina et Mali), en Centrafrique, en Syrie et en Ukraine pour se battre.
Fondé en 2014, le groupe Wagner est détenu par l’oligarque Evgueni Prigojine, un homme très proche du pouvoir russe. Evgueni Prigojine est aussi, ce que beaucoup ignorent, à la tête de l’Internet Research Agency (IRA), une monstrueuse machine de propagande et de désinformation très active sur internet pour brouiller les cartes dans des pays où l’intérêt de la Russie est menacé.
La Russie, Wagner et IRA, un cocktail Molotov explosif.
Le groupe Wagner et l’IRA sont deux organisations. L’une paramilitaire (Wagner), l’autre véritable usine de fabrique d’intoxications (IRA). Les deux organisations alliées interfèrent dans les affaires de pays ciblés de manière complice et synchronisée. Quand le groupe Wagner veut mettre en œuvre des opérations militaires dans un pays, parallèlement l’IRA mène une guerre d’information « toxique » sur internet et sur les réseaux sociaux et planifie des opérations psychologiques pour soulever les populations de ces pays.
Exemple en date de ces opérations psychologiques, le soulèvement des populations « orchestré » lors des coups d’état au Mali et au Burkina Faso pour dénoncer la présence des forces françaises et occidentales.
On ne connait pas exactement le nombre des mercenaires russes enrôlés au sein du Groupe Wagner puisqu’ils n’ont pas d’existence légale dans leur propre pays. Selon les journalistes Alexandra Jousset et Ksenia Bolchakova, 10 000 hommes seraient passés dans les rangs du groupe Wagner depuis sa création en 2014 et, parmi ces 10.000 hommes, 5 000 seraient toujours actifs jusqu’à cette date.
Pour les forces armées maliennes, le mariage avec les russes c’est bien la seule solution efficace pour freiner la progression des djihadistes. Pourtant depuis le débarquement des « barbouzes » russes, les frappes djihadistes se sont multipliées au centre du Mali. Ces Djihadistes, sont d’ailleurs devenus de plus en plus actifs sur le terrain, et passent par un couloir au Mali pour porter des coups de plus en plus meurtriers au Burkina Faso et au Niger.
Wagner, des « terroristes » qui combattent des terroristes.
Le Colonel Goïta, investi président de transition en juin 2021, a joué ces deux dernières années un rôle très important dans la campagne de propagande en faveur du Groupe Wagner. le Groupe Wagner considéré par le Mali comme partenaire militaire d’autodéfense stratégique, est « épaulé » par la Russie avec des dons d’avions de combats et des armes de pointe à l’armée malienne. La propagande étalée par le Mali, laisse penser que la présence des « tueurs » de Wagner est la seule solution pour mettre fin aux actions des terroristes sur le terrain.
Cette image du Groupe Wagner est évidemment maquillée et elle est loin de la réalité. La présence des combattants de Wagner a plutôt ravivé les attaques des terroristes, attaques qui sont devenues de plus en plus meurtrières et plus particulièrement pour le Burkina Faso dont les forces armées et de sécurité ont été complétement chassées de toute une zone nord où les opérations djihadistes devient très meurtrières et se multiplient.
Par les moyens logistiques énormes dont elle dispose, la force Wagner semble faire tomber sous son charme (mais en réalité dans le piège), les Etats-Majors militaires du Mali et du Burkina Faso. C’est peut-être pourquoi, au Niger où, dans la réalité rien ne justifie un coup de force, un officier supérieur a pris le pouvoir sans doute, peut-être plus, pour copier les officiers militaires qui ont renversés les régimes au Mali ou au Burkina que pour sauver le pays.
Dans la réalité, le général Abdourrahamane Tchiani, , avait pris le pouvoir pour devancer un décret présidentiel qui, selon les rumeurs qui circulaient à Niamey- allait le limoger. Cette histoire tout le monde au Niger la sait.
Ce qui est arrivé au Niger, n’est en réalité donc qu’un coup de force mené par un homme par ambition et intérêt personnels. Un coup de force qui rappelle par la similitude du cas, celui qui avait eu lieu en Mauritanie en août 2008.
Certains pensent que le général Abderrahmane Tchiani a été lui aussi envouté par la percée des Russes au Sahel, ce qui peut expliquer la spontanéité avec laquelle le Drapeau russe –(qui n’est pas vendu sur les étalages de Niamey)– soit apparu « soudainement » brandi par des manifestants qui scandaient des slogans hostiles à la France lors de leur marche de soutien.
Ce qui s’est passé les quelques heures qui ont suivies le coup de force au Niger, nous avait fait revivre de la même manière, les premiers instants des manifestations qui s’étaient déroulées au Mali et au Burkina après les coups d’état dans ces deux pays. Au cours de ces manifestations évidemment orchestrées, les manifestants scandaient des slogans hostiles à la France et faisaient appel à la Russie pour prendre la « relève » des forces françaises.
Des généraux des BASEPs sahéliens de plus en plus avides du pouvoir.
Ce qui était arrivé en Mauritanie (août 2008) quand le Général Mohamed Ould Abdel Aziz, avait manigancé un coup d’État (renversant, Sidi Ould Cheikh Abdallahi premier président démocratiquement élu), ce qui s’était passé au Mali en août 2020, sa récidive en mai 2021, le renversement d’Alpha Condé de Guinée en septembre 2021, les mutineries survenues au Burkina en septembre et en janvier 2022 et, enfin ce qui vient de se passer au Niger prouve bien que la « délinquance militaire » est en train d’envahir les palais présidentiels des pays du Sahel.
Tout ce qui s’est passé, au Mali, en Guinée, en Mauritanie, au Burkina Faso et ce qui se passe actuellement au Niger, n’est en réalité que l’apparition d’un nouvel ordre politico-militaire caractérisé par un désordre que cherchent à instaurer les hommes en treillis incapables de gagner la bataille contre les terroristes et qui, par une fuite en avant, les uns après les autres prennent le pouvoir sous prétexte qu’ils cherchent à rétablir la sécurité dans leurs pays. Ce qui est évidemment faux.
Dans la réalité, le problème est tout autre. Ce qui se passe en Afrique et entre autre, dans les pays du Sahel prouve simplement que la nouvelle donne géopolitique et géostratégique est entrain de dévier de la trajectoire « traditionnelle » qu’elle empruntait depuis les premières années de l’indépendance du continent africain.
Depuis plus d’une vingtaine d’années maintenant, la France, et certains pays européens qui ont colonisés le continent africain, sont en déficit prononcé de popularité et de notoriété. Les conflits internes se multiplient dans certains de ces pays sous le regard indifférent des anciens colonisateurs ce qui rend les populations de plus en plus hostiles à leurs égards.
Les conflits qui déchirent le continent, (généralement internes), sont la conséquence du choc créé par la prise de conscience des nouvelles générations politiques africaines qui crient haut et fort, que les anciens pays colonisateurs doivent abandonner leurs vieilles « méthodes rétrogrades, archaïques et périmées » qui consistent à piller les ressources de leurs pays en encourageant le maintien au pouvoir de certains chefs d’états décriés comme c’était le cas les années 2000 au Mali, au Tchad, au Congo, au Cameroun, en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Zaire et au Niger.
Le profil de la nouvelle vision de la classe politique africaine a été rappelé par le président sénégalais Macky Sall lors du Sommet de Moscou quand il avait dit que Les chefs d’Etats africains n’étaient pas venus en Russie pour mendier. Que ces chefs d’états étaient venus pour rechercher un partenariat d’égale dignité. C’est le même discours que les africains tiennent à Dakar, à Saint Petersburg ou à Washington. Le président sénégalais avait laissé entendre à ce sommet, -à qui voulait l’entendre-, que le combat de l’Afrique est avant tout un combat pour la dignité et que ce combat transcende les générations.
Pour conclure Macky Sall avait dit que : « si on regarde l’Afrique aujourd’hui, on se pose la question de savoir pourquoi on est dans cette situation ? » Pour Macky Sall, comme d’ailleurs pour Cheikh Tidiane Gadio (67 ans) brillant diplomate sénégalaise, personnalité politique panafricaniste de premier plan, pour Ahmedou Ould Abdallah, (83 ans), brillant diplomate mauritanien, directeur du centre stratégique pour la sécurité du Sahel Sahara, ancien directeur au siège des Nations-Unies à New York, ancien Représentant Spécial du Secrétaire général au Burundi (1993 à 1995), mais aussi pour toute l’élite progressiste africaine d’avant-garde, c’est le poids des séquelles de l’histoire, l’héritage de l’esclavage et la colonisation qui se poursuivent à travers des manifestations sous des formes de néocolonialistes et l’injustice d’un système imposé par l’ancien colonisateur qui a créé cette situation. C’est de cette réalité, que les africains prennent conscience et c’est contre les conséquences qu’entraine ce phénomène que les progressistes africains se battent au quotidien.
Tout évidemment était dit dans l’intervention du président sénégalais. On peut donc conclure à la lumière du constat fait par Macky Sall, que ce qui passe dans la sous-région sahélienne est de toute évidence l’infiltration d’une nouvelle forme de colonisation qui se poursuit à travers des manifestations de néocolonialisme et à travers l’injustice d’un système que les africains dénoncent au quotidien.
Un système que combattaient aussi les chefs d’Etat démocratiquement élus au Mali au Burkina, au Tchad et au Niger ce qui, , -pourquoi pas-, peut-être le détonateur du déclencheur du renversement de leurs régimes. Mais malheureusement comme on l’a vu dans ces quatre pays, ce système néocolonialiste semble revenir en force et cette fois revêtu d’un drapeau russe.
Pourquoi ? Simplement parce que la Russie a profité des failles et de la déconfiture dans les systèmes de coopérations entre les pays européens et leurs anciennes colonies pour s’infiltrer et semer la zizanie en prétextant des besoins de coopération sécuritaire avec les pays gangrenés par le terrorisme.
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant