Le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh Ould El Ghazouani « s’était permis » quelques jours de vacances. Comme l’année dernière, il est donc allé prendre du « recul » dans le département de Boumdeid.
Boumdeid, un coin perdu au nord de l’Assaba et enclavé entre les wilayas du Tagant et du Hodh El Gharbi. Un lieu tranquille et calme, sans bruit où, depuis la nuit des temps ne s’élève dans le ciel que la voix des muezzins qui appellent à la prière.
Ghazouani, était venu chez lui pour se reposer, pour s’éloigner un peu des exigences, des contraintes et des pressions d’un travail harassant que nécessite le traitement des très nombreux dossiers qui s’empilent sur son bureau. Peut-être aussi, était-il parti pour apporter un réconfort moral à une population qui a été durement frappée par des inondations qui avaient fait deux victimes et plus de 450 familles sinistrées.
Ce qui est certain c’est que, Ould Ghazouani, qui vient de rentrer dans la dernière ligne droite de sa course avec le temps pour mener à terme son mandat, avait besoin de régénérer de l’énergie pour jeter un regard « posé » sur le rétroviseur des quatre premières années passées et pour scruter l’avenir qui se profile pour lui à l’horizon.
Si on part du résultat du sondage effectué par le Groupe de Presse Francophone de Mauritanie auprès de certains mauritaniens, en général pour ces mauritaniens, Ould Ghazouani n’a pas du tout atteint la cote de popularité qui devait logiquement récompenser le travail qu’il a accompli avec le peu de moyens laissés par son prédécesseur.
Ghazouani sous l’emprise d’un groupe de politiques et d’hommes d’affaires ?
« Ould Ghazouani est sous l’emprise d’un groupe de politiques et d’homme d’affaires ». C’est ce qu’avait dit Biram Dah Abeid il y’a quelques mois. Le temps donne-t’ il raison à Biram, cet opposant aigri par le manque de sous et par la baisse vertigineuse de sa popularité ? Peut-être.
En tous cas, comme pour se racheter aux yeux des mauritaniens, (dont beaucoup, jusqu’à présent ont vraiment du mal à dissocier son image de celle de son prédécesseur), et, peut-être aussi, pour ajouter à tout ce qu’il a fait de positif ce qui peut encore être fait les douze derniers mois qui lui restent au pouvoir, le président Ghazouani avait, avant son départ en vacances haussé le ton et annoncé les couleurs de ce qui allait suivre.
Il avait haussé le ton pour limiter les dégâts causés pour son régime par la nonchalance dans l’exécution de certains marchés publics dont les attributaires trainent du pied malgré toutes les mises en garde et les avertissements qui leurs ont été adressés.
Depuis que le chef de l’Etat s’était rendu inopinément sur le site de pompage du projet Aftout Essahli à Béni-Nadji, c’est le « sauve-qui-peut » à la tête et au sein des sociétés d’Etats. Et, comme on le constate ces jours-ci, tous les ministères sont en ébullition et tournent à plein régime transformant le pays en un vaste chantier.
Pourtant, et malgré les efforts considérables déployés par ces ministères en solo ou en mouvement d’ensemble, le constat est toujours amer. L’évolution de l’exécution des projets ne donne vraiment pas satisfaction au chef de l’Etat.
C’est qui explique peut-être cette réunion inédite présidée par le chef de l’Etat et consacrée à l’évaluation et au suivi des 84 projets d’infrastructures actuellement en cours de mise en œuvre qui impliquent plusieurs départements ministériels.
Cette réunion a révélé et porté à la connaissance du président Ghazouani, ce qu’il savait déjà. Le rythme de l’exécution de ces projets est pratiquement resté inchangé.
La nouvelle Mafia d’hommes d’affaires et d’entrepreneurs. Une antre des malfaiteurs ?
Dans ce pays, ce n’est un secret pour personne, beaucoup d’hommes d’affaires jusqu’ici « intouchables », sont nés par « avortement » ou par « fausse couche » sous l’ère de la gabegie (2007-2013). Certains d’entre eux, par leur influence très forte sur les rouages de l’Etat et par la mise en place de mécanismes de corruption à certains niveaux parfois même très élevés, barrent le chemin aux entreprises crédibles et compétentes et même au Génie militaire, cette institution étatique qui a fait ses preuves dans plusieurs secteurs.
Ces hommes d’affaires, nés sous le régime de Ould Abdel Aziz et hérités par Ould Ghazouani (dans la base de données de certains ministères), donnent l’impression de s’amuser avec l’argent du contribuable mauritanien, celle des bailleurs de fonds et celle de nos généreux donateurs et se montrent peu soucieux de la réalisation des projets dans les délais fixés par les cahiers de charge, mais aussi et surtout ils se montrent très peu soucieux des sanctions qui peuvent leur être infligées.
En appelant autour de la table le Premier ministre, le Ministre Secrétaire général de la Présidence de la République et le ministre chargé du cabinet de la Présidence, le Président de la République a voulu remonter d’un cran sa menace et rappeler sa ferme détermination de mettre fin au désordre qui règne dans le désordre épouvantable de la demande et de l’offre de ces projets financés sur le budget de l’Etat.
Ould Ghazouani l’a dit d’un ton ferme et déterminé. Désormais il exige des départements dont les projets sont en cours d’exécution, de présenter à chaque fin de mois une communication au conseil des ministres qui fait état détaillé du niveau d’exécution de ces projets. Ce que seul pour le moment, apparemment le Ministère de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire fait de manière régulière.
Ce qui signifie simplement que le président Ghazouani, avait réuni sa « Task-force » pour siffler la fin d’une récréation qui avait trop duré. Si on analyse donc le ton de fermeté avec lequel le président s’est exprimé, cela peut vouloir dire que désormais aucun retard de quelle nature qu’il soit ne sera plus toléré dans l’exécution des projets.
Mais aussi, le ton du président de la République portait sur d’autres menaces qui ne sont pas sans conséquences. Le président de la République en insistant sur la nécessité de prendre des mesures réglementaires dissuasives à l’encontre des sociétés ou des entreprises qui n’honorent pas leurs engagements, (sous-entendu), demande au gouvernement d’engager s’il le faut des poursuites judiciaires à l‘encontre des récalcitrants.
C’est bien clair donc. Le président de la République conseille aux départements ministériels de ne plus confier des projets sensibles et vitaux à des sociétés ou des hommes d’affaires qui n’ont pas les profils techniques, qui n’ont pas les références requises ou qui ne répondent pas aux critères d’éligibilité exigés par les cahiers de charge.
La réunion, une première, s’est donc terminée sur deux décisions très importantes prises par le chef de l’Etat. La première, est une décision qui donne le feu vert aux ministres pour prendre en toute liberté toutes les mesures dissuasives à l’encontre des sociétés ou des entreprises qui montrent l’incapacité à respecter les engagements pris.
La seconde décision –(même si elle ne le dit pas)-, conseille aux ministères de ne plus confier des projets sensibles et vitaux aux sociétés (fictives ou comme telles), qui naissent au guichet unique rien que pour être en règle vis-à-vis de la législation afin de pouvoir être éligibles à des marchés et une fois retenues, profiter pour « voler » l’argent du contribuable mauritanien.
Des hommes d’affaires « Insavistes » pour tirer profit du régime en place ?
Ce problème de projets dont l‘exécution n’est pas effectuée dans les délais prescrits ne date pas d’aujourd’hui et devient un véritable casse-tête pour le gouvernement, comme le cas du pont de Haye Sakine. Mais déjà, en juin 2022, dans un point de presse, M. Ousmane Mamadou Kane, l’ancien ministre des Affaires Economiques et de la Promotion des Secteurs Productifs avait déclaré que la lenteur dans la mise en œuvre des projets posait un problème sérieux à l’état mauritanien et qu’elle brisait la confiance des partenaires et des bailleurs de fonds.
A cette époque, en juin 2022, sur les 110 projets financés par les partenaires, certains connaissaient un retard de plus de neuf ans. Parmi ces projets, il y en avait un qui remontait à 1996, un autre à 2000, un à 2005, cinq à 2007, deux à 2008, un à 2009, cinq à 2011, deux à 2012 et six à 2013.
Ce qui signifie qu’entre 2007 et 2013 sous le régime de Ould Abdel Aziz, (un régime qui selon lui, luttait contre la gabegie et le détournement des deniers publics), vingt-trois projets lancés depuis 2007, n’avaient pas, (jusqu’en 2022), été exécutés conformément aux clauses des contrats conclus.
M. Kane Ousmane, qui jouait au sein du gouvernement de l’époque le rôle de ministre «clé–du coffre» des bailleurs de fonds, avait précisé que, dans la tenue des livres de ces bailleurs de fonds, environ 140 milliards MRU étaient en ligne d’attente avant d’être injectés dans l’économie mauritanienne, mais que leur injection était retardée à cause des projets pour lesquels les financements avaient été libérés et qui n’avaient pas été exécutés dans les délais requis.
Pourtant, même avant 2022, en 2020 une première fois, le gouvernement de Ould Ghazouani avait déjà débattu de la question de ces retards dans l’exécution des projets.
Si donc, le président Ghazouani la semaine dernière a tapé du poing sur la table et trop fort cette fois, c’est parce que, très critiqué pour le mauvais « encadrement de ses troupes », le président ne veut plus payer les pots cassés pour des responsables de certaines sociétés ou entreprises proches du pouvoir qui ne peuvent pas respecter leurs engagements.
Certains de ces hommes d’affaires qui avaient écartés les Ehel Noueigheidh, les Ehel Chriv Ould Abdallahi, les Ehel R’Gueibi et les Oulads Ghaadé, Ehel Sidi Bady et d’autres, encaissaient l’argent des bailleurs de fonds et partaient tout simplement « sabrer le Champagne » à Paris ou à Las palmas, ou jouer à la roulette aux Casinos de Monte-Carlo, de Monaco, d’Istanbul, de Qatar ou de Doha.
Et si l’expertise technique du Génie militaire était privilégiée ?
C’est d’ailleurs pourquoi, maintenant beaucoup de voix s’élèvent pour suggérer que, pour les projets de souveraineté sensibles et prioritaires qui relèvent de l’éduction, de la Santé ou de l’aménagement du territoire, soient plutôt confiés au Génie militaire qui a, d’une part fait ses preuves dans l’exécution de plusieurs projets multisectoriels et qui, d’autre part ne présente aucun risque pour l’évasion fiscale ou financière des fonds alloués aux projets détournés.
Parce que il faut le souligner, confier certains projets au Génie Militaire (qui relève d’une institution affiliée Ministère de la défense), c’est aussi réinjecter les retombées financières de ces projets dans le renforcement des capacités opérationnelles de notre armée nationale, une armée orientée de plus en plus vers la formation académique et polytechnique de ses officiers, maintenant très nombreux spécialisés dans le domaine des chaussées, de l’électricité, de l’hydraulique et du génie civil.
Si donc, comme on le pense, Ould Ghazouani ne donne plus aucune chance aux entreprises dont certaines n’ont pour administration qu’une chemise à rabat, une entête, un cachet, pour siège que la cabine d’une V8 et pour raison sociale que la tribu, cela peut signifier aussi que le divorce est consommé entre le chef de l’Etat et ceux qui croient pouvoir continuer à gagner des marchés en distribuant des dessous de tables ou simplement en contribuant aux financements des campagnes électorales du parti de la majorité présidentielle.
Si c’était le cas, cela signifie peut être, que, comme disait Jean-Philippe Smet, plus connu sous le nom de Johnny Hallyday, (chanteur, compositeur français mort en 2017), « les portes du pénitencier vont bientôt se refermer » et, malheureusement, elles risquent de se refermer sur certains gros bonnets qui se croyaient au-dessus de tous risques de poursuites judiciaires.
Attendons donc de savoir dans ce bras de fer qui oppose « on dirait » Ould El Ghazouani aux entreprises et hommes d’affaires peu soucieux de l’intérêt supérieur de la nation, (pour la plupart bailleurs de fonds de son parti), qui va remporter la partie.
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant