Pourtant, depuis 1960, les promesses pleuvent, les espoirs s’étiolent, et les leviers du développement peinent toujours à s’actionner. Le progrès est au ralenti, freiné par les intérêts particuliers et les jeux de pouvoir.
Un pays où les politiques publiques ne sont orientées ni par l’intérêt général ni par l’urgence sociale, mais par la géographie du soutien au pouvoir. Là où il y a la majorité, là s’installent les projets… Les autres peuvent attendre, ou bien s’adapter.
Un pays où les premiers à bénéficier du « service public » sont ceux censés le rendre : Président, ministres, députés, secrétaires généraux, et toute une élite politico-administrative. Le peuple, lui, restes-en bas de la pyramide, souvent sans accès aux droits fondamentaux.
Et pourtant, ce pays est riche. Riche de ressources, riche de terres, étendu sur 1 030 700 km², avec une densité humaine faible : 5 millions recensés, 3,1 millions sans papiers. Un potentiel immense, mais une pauvreté extrême qui ronge le quotidien. L’abondance n’a pas encore croisé le chemin de l’équité.
Malgré des fonds importants régulièrement octroyés — souvent en échange de l’exploitation de ses richesses — le pays s’appauvrit. Les ressources sont dilapidées, les bénéfices captés par une minorité. L’injustice se creuse à mesure que l’extérieur croit aider.
Et que dire de l’aide internationale ? Derrière les beaux discours de développement, la réalité est plus amère : près de 60 % des budgets dits « d’appui » sont absorbés par les frais de fonctionnement des expatriés. Pendant ce temps, les populations locales attendent toujours un impact tangible.
Dans ce pays, le système de santé laisse à désirer. Les infrastructures sont vétustes, les ressources humaines insuffisantes, mal formées, parfois démotivées. Tomber malade devient un pari risqué, surtout si l’on n’a pas les moyens de se faire soigner à l’étranger.
L’éducation n’est guère mieux lotie. Faiblesse des structures, manque de formation, absence de débouchés : apprendre, oui, mais apprendre pour quoi faire ? Le diplôme ne garantit plus l’emploi, et l’espoir d’une vie meilleure s’effrite dès l’école.
Et quand certains refusent de suivre le rythme imposé, on leur impose la force. Les voix dissonantes sont réduites au silence, accusées de perturber l’ordre public ou d’être manipulées. La contestation devient un acte suspect.
L’emploi n’est plus une question de mérite, mais de réseau. Ce n’est pas ce que tu sais, mais qui tu connais qui compte. Le favoritisme gangrène le système, laissant les plus compétents sur le banc de touche.
Demander justice, réclamer ses droits ? C’est déjà trop. C’est être vu comme un fauteur de trouble. Ou pire : comme un pion d’une opposition invisible.
La fiscalité elle-même devient une raquette déguisée. Entre les taxes, les impôts, les prélèvements… beaucoup meurent avant même de percevoir une quelconque pension. Travailler toute une vie pour presque rien.
Et pourtant, ce pays se dit démocratique. Mais gare à celui qui critique le pouvoir sur les réseaux sociaux : la liberté d’expression y est à géométrie variable. On tolère les éloges, mais pas les vérités qui dérangent.
Et quand, avec lucidité, on tente de faire un bilan, on nous répond : « Non Mawmouhimm, c’est la faute de l’État ! » Comme si l’État n’était personne. Comme si tout cela n’était pas la responsabilité d’hommes bien réels.
Alors certains, plus cyniques, te diront : « Arrête. Suis la cadence. Occupe un poste. Gagne ta part. Et surtout, tais-toi. »
Mais dans cette farce démocratique, où l’opposition est douteuse, où les dialogues sont vides et les débats orchestrés, une seule victime demeure : le citoyen.
Le pauvre citoyen. Celui sans qui tout cela ne serait possible. Celui qui porte encore, à 65 ans d’indépendance, le poids des promesses non tenues.
On l’écoute pendant les campagnes électorales, on le séduit par des slogans, on lui tend des miettes. Puis on l’oublie aussitôt.
La vision du développement semble s’arrêter là où commence le ventre. Le peuple se bat pour survivre, pendant que les élites se battent pour se servir.
Pour espérer un décollage réussi, encore faut-il que les réacteurs soient vérifiés, que les instruments de bord soient en état, et que l’équipage sache ce qu’il fait. Avant d’atterrir, un bon pilote s’assure que chaque passager a bien attaché sa ceinture. Voilà ce que j’attends d’un vrai leader : responsabilité, rigueur, et souci de tous ceux à bord. Un pilote qui pense au vol dans son ensemble, pas juste à sa place dans le cockpit.
Nouakchott, le 09 Avril 2025
Baye Oumar Niass