Alors que les élections législatives devraient avoir lieu d’ici quelques jours au Sénégal, la coalition Takku Wallu va devoir faire sans sa tête de liste, l’ancien président Macky Sall qui s’est réfugié au Maroc depuis son départ du pouvoir. L’ancien Président qui était attendu à Dakar pour l’ouverture de la campagne de la coalition, a affirmé sur RFI Fulbe que son retour dans la capitale sénégalaise n’est pas encore à l’ordre du jour.
« Mon retour au Sénégal n’est pas encore à l’ordre du jour. Une fois décidé, je ferai moi-même une annonce officielle et l’information va circuler. En quittant le Sénégal, je n’ai fait que respecter la tradition, parce que quand un président est longtemps resté au pouvoir, il doit se retirer pour laisser le soin à ses successeurs afin qu’ils puissent bien dérouler », s’est-il justifié. Pour le journaliste sénégalais Momar Dieng, directeur général du site www.impact.sn , avec lequel Mondafrique s’est entretenu,« Macky Sall doit avoir le courage d’expliquer pourquoi il ne veut pas retourner au Sénégal »
Momar Dieng est un journaliste d’investigation Sénégalais très expérimenté et très affuté.
Directeur général du site www.impact.sn, Momar Dieng nous livre, dans cet entretien, ses impressions sur la campagne électorale qui a débuté depuis deux semaines et répond à nos questions sur les violences qui ont émaillé le début du processus électoral. Il analyse enfin l’absence de l’ex-président Macky Sall qui a refusé de revenir au Sénégal pour y conduire l’une des principales listes de l’opposition.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
À votre avis, pourquoi la campagne électorale est-elle émaillée de violences ?
Ce n’est pas tout à fait vrai de dire que la campagne électorale est émaillée de violences. Il y a eu des actes de débordements graves au début de la campagne, notamment les deux premiers jours. C’étaient l’incendie et le saccage du siège de campagne de l’ancien maire de Dakar, Khalif Sall, qui est dans l’opposition et quelques jours plus tard, il y a eu l’attaque du convoi du Premier ministre Ousmane Sonko au niveau de Kungueul, dans le centre du Sénégal. En revanche, il y a beaucoup d’échauffourées, ce qui me paraît à peu près normal dans un contexte comme celui du Sénégal et par rapport à notre histoire politique dans laquelle apparaissent quand même des épisodes de violences.
De l’extérieur, il n’est pas facile de comprendre que le pays qui a le plus grand nombre de processus électoraux réussis peut favoriser un tel climat de violences ?
Je ne suis pas certain qu’on puisse faire un lien entre un pays qui a le plus grand nombre de processus électoraux réussis et un certain taux de violences. Il faut savoir raison garder sur ce chapitre. Parce qu’il s’agit beaucoup plus d’échauffourées entre certains candidats et même quand l’on a noté des violences, ça s’est limité à deux ou trois coalitions.
Doit-on craindre un regain de tensions voire de violences le jour du scrutin ?
Au Sénégal, on a eu l’habitude de craindre un accès de violences. Quelquefois durant la campagne électorale, mais surtout le jour du scrutin. Mais je pense que les mises en garde du ministre de l’intérieur et les actes qui ont déjà été posés par le ministère de la justice pour sanctionner les fauteurs de troubles sont pris très au sérieux par les acteurs politiques. De sorte qu’on peut espérer qu’il n’y aura pas un regain de tension le jour du scrutin. D’ailleurs, rien ne peut expliquer qu’il puisse y avoir un tel regain de tension après la présidentielle du 24 mars qui était très redoutée mais qui s’est déroulée dans le calme.
Alioune Tine a appelé, à de nombreuses reprises, à un traitement égal de tous les actes de violences. Croyez-vous que le ministre de l’intérieur est laxiste sur les violences qui viennent du pouvoir ?
Je pense qu’on est en train de faire un mauvais procès au ministre de l’intérieur, le général de gendarmerie Jean-Baptiste Tine. Parce qu’il n’y a pas, à ce stade, des dossiers de violences à partir desquels on peut juger que le Premier ministre est laxiste ou pas. Au demeurant, appeler à un traitement équitable de tous les actes de violences me paraît aller vite en besogne parce qu’on ne connaît pas les dossiers qui sont sur la table du ministre de l’intérieur et celui de la justice. A ce niveau, je pense qu’il faut éviter d’être dans l’émotion ou faire du sensationnalisme. Parce que la campagne électorale se déroule globalement dans le calme.
L’ancien président Macky Sall a décidé de ne pas rentrer au Sénégal pour faire campagne alors qu’il est à la tête d’une coalition de l’opposition. A-t-il des raisons de croire qu’il pourrait être arrêté ?
Je ne peux pas répondre à la place de l’ancien président de la République. Si vous avez l’occasion de lui poser directement la question ou à ses collaborateurs qui sont restés à Dakar, ils vous répondront. Là, les Sénégalais, en général et ses partisans, en particulier, constatent qu’il leur avait donné rendez-vous pour venir battre campagne ; qu’il s’est battu pour être la tête de liste d’une coalition de l’opposition, mais qu’il ne viendra pas. Ses partisans s’attendent peut-être à une surprise de dernière minute, lors de la dernière semaine de campagne. Ce qui m’étonnerait puisqu’il a lui-même indiqué qu’il ne viendrait pas. Pour des raisons qu’il devrait avoir le courage d’expliquer.
Macky Sall a toujours entretenu de très bonnes relations avec Emmanuel Macron
Est-ce que son absence n’alimente pas la frustration de ses partisans et, par voie de conséquence, la tension de façon générale ?
L’absence de Macky Sall ne peut pas être un facteur qui va semer la violence. Son problème, c’est celui qu’il a avec ses partisans à qui il avait promis de venir au Sénégal. Donc, s’il y a de la frustration c’est seulement dans son camp et au niveau de ses collaborateurs. Ou au niveau de ses militants qui se plaignent en privé d’avoir été laissés à eux-mêmes. Parce qu’ils auraient aimé voir leur tête de liste diriger la campagne comme le fait Amadou Ba (dernier Premier ministre de Macky Sall et candidat malheureux à la présidentielle, ndlr), Ousmane Sonko ou d’autres leaders politiques. C’était de toute façon le minimum auquel ses militants pouvaient s’attendre.
Est-ce que cette campagne donne lieu à de vraies offres politiques ? Et quelles sont les différences qu’on peut noter entre le pouvoir et l’opposition ?
Ce que l’on constate en termes de programmes proposés aux citoyens, c’est qu’il y a un effort pour tenter de délivrer un programme législatif mais ça ne va pas loin. Parce qu’on n’est pas dans une élection présidentielle ; on est plutôt dans une élection législative et dans ce type d’élection, ce qui peut faire mouche c’est le fait de proposer des éléments qui peuvent composer un contrat législatif. C’est-à-dire ce qu’on a envie de faire pendant la législature, pendant 5 ans. Malheureusement, les partis, surtout les « petites listes » n’ont pas les moyens de dérouler ce discours-là parce que tout le monde sait qu’il est extrêmement difficile d’être élu à l’Assemblée nationale.
Chaque parti fait donc avec ce qu’il a pour séduire l’électorat ?
Oui, on entend un peu de tout, des choses intéressantes mais aussi des choses farfelues. Ce qui fait que les grandes propositions viennent toujours des grandes coalitions. Et celle qui fait la meilleure campagne actuellement est sans conteste le parti au pouvoir. Ousmane Sonko a profité du lancement de la « Vision Sénégal 2050 » (le programme de développement global du parti au pouvoir, ndlr) pour décliner un programme adossé à cette vision-là et qui concerne un peu la division théorique du pays en zones économiques. Donc Ousmane Sonko fait une meilleure campagne à ce niveau par rapport aux huit zones agropoles qui ont été constituées dans cette vision appelée « Vision Sénégal 20250 » pour dérouler son contrat de législature. Il y a aussi Barthélémy Diaz qui, après les premières piques avec Ousmane Sonko, fait des propositions intéressantes de contrat de législature. Il y a enfin le Premier ministre Amadou Ba qui s’attache aussi à faire quelques propositions mais je ne pense pas que toutes ces propositions, surtout au niveau de l’opposition, soient vraiment audibles au niveau de l’opinion en raison d’un facteur dérangeant pour elle : la présence massive et médiatique d’Ousmane Sonko, l’actuel Premier ministre qui dirige la liste du Pastef. Donc à ce niveau, il ne semble pas vraiment y avoir de combat entre Pastef et les autres listes. Cela dit, rien n’est joué même si je suis persuadé qu’il n‘y aura pas de grosses surprises lors du dépouillement. Car Pastef part favori parce qu’il y a une vague de ralliements d’anciens dignitaires du régime, surtout dans le monde rural ; ce qui devrait conforter la victoire du parti au pouvoir
Quel bilan, après six mois de gouvernance, pouvez-vous faire de la marche du duo Sonko-Diomaye ? Leurs premiers pas sont-ils rassurants ?
Il est difficile de faire un bilan de la marche du duo Sonko-Diomaye Faye. Ce qu’il faut noter en premier c’est la difficulté de la tâche qui les attendait parce que tout le monde s’est rendu compte, au vu des dossiers qui sont sortis depuis le 2 avril, de l’immensité de la tâche et qui est dûe à la gouvernance de l’ancien régime. Ils ont révélé assez de dossiers qui sont absolument difficiles à surmonter, notamment au niveau macro-économique et pour lesquels l’ancien régime a été accusé. Donc, leur tâche n’est pas vraiment facile mais ils ont essayé de poser des actes importants aux yeux de l’opinion publique. Notamment dans le domaine social et économique, dans le domaine des investissements et de la renégociation de certains contrats miniers. Cela dit, les Sénégalais ne sont pas pessimistes. Ils savent qu’ils vont devoir se serrer la ceinture avant que le Sénégal ne vive de ses possibilités. D’autant que pour beaucoup d’économistes, le pays vivait au-dessus de ses moyens. Et c’est ce que les deux têtes de l’exécutif veulent d’abord corriger
Mondafrique