Depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas, les efforts de médiation des Etats-Unis échouent les uns après les autres. En raison, d’une part, de l’ambiguïté américaine sur la création d’un Etat palestinien et, d’autre part, de son soutien indéfectible à Israël.
Devant les Nations unies, la dernière grande prise de parole de Joe Biden avait quelque chose de lunaire. « Nous nous efforçons d’apporter un peu plus de paix et de stabilité au Moyen-Orient », a affirmé le 24 septembre le président américain, lors d’une allocution de vingt minutes. « J’ai proposé, avec le Qatar et l’Egypte, un cessez-le-feu et un accord sur les otages », protocole « approuvé par le Conseil de sécurité », a-t-il rappelé. Les Etats-Unis se sont efforcés depuis le 7 octobre « d’empêcher une guerre plus large qui engloutirait toute la région », a-t-il aussi souligné. Etrange bilan… En réalité, chaque jour offre de nouvelles preuves de l’échec américain à ramener la paix au Proche-Orient.
Non seulement le secrétaire d’Etat Antony Blinken s’est rendu dix fois dans la région pour tenter, en vain, de convaincre le Hamas et Israël de conclure un accord de cessez-le-feu. Mais, au moment même où se tenait la 79e assemblée générale des Nations unies, Israël faisait pleuvoir un tapis de bombes sur le sud du Liban, provoquant la fuite de milliers de personnes et poussant le conflit dans une dangereuse escalade régionale. A la tribune de l’ONU, le 27 septembre, Benyamin Netanyahu poussait l’humiliation jusqu’à ne pas dire un mot du plan de paix américain. Au point qu’il n’est plus possible d’ignorer cette question fondamentale : comment un pays de la puissance des Etats-Unis a-t-il pu devenir un tel tigre de papier au Moyen-Orient ?
L’ambiguité américaine de l’Etat palestinien
La personnalité hors norme de l’insubmersible Netanyahu lève un coin du voile, mais n’explique pas tout. « Ne nous menacez pas de réduire notre aide. Vous nous aidez, et nous vous en sommes très reconnaissants, mais il s’agit d’une voie à double sens. Nous faisons beaucoup pour vous », a lancé un jour le Premier ministre israélien à Joe Biden. Mais sa référence remontait à 1982, et le Premier ministre en question s’appelait Menahem Begin. En réalité, l’impasse actuelle est l’aboutissement de décennies d’ambiguïté américaine.
Ambiguïté sur la nécessité d’un Etat palestinien : depuis George W. Bush, premier président américain à soutenir la création d’un Etat palestinien, et à l’exception de la parenthèse Trump, Washington défend une solution à deux Etats. Mais dans le même temps, l’Amérique a systématiquement protégé Israël à l’ONU, exerçant depuis 1970 son droit de veto dans ce forum qu’elle considère comme biaisé en défaveur d’Israël. Ce soutien a nourri une deuxième ambiguïté, sur les colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem. Si Ronald Reagan les avait déclarées « malavisées » mais « pas illégales », les Etats-Unis n’ont permis, depuis 1980, qu’une seule fois, fin 2016, au Conseil de sécurité de condamner leur construction, lorsque l’administration Obama sortante s’est abstenue de voter.
Cette double ambivalence a eu deux conséquences. En Israël, Netanyahu a très tôt compris qu’il pouvait s’asseoir sur les avertissements solennels lancés par Washington. Jusqu’à tomber dans la provocation, comme lorsqu’il annonce en mars 2010, à la veille d’une visite du vice-président Biden, la construction de 1 600 nouvelles unités de peuplement à Jérusalem-Est. A l’extérieur d’Israël, ses voisins ont compris que la politique américaine, du fait de ses contradictions, était vulnérable – une fragilité redoublée par la débâcle de l’invasion de l’Irak, qui a poussé les successeurs de Bush à se désengager du bourbier moyen-oriental pour se consacrer à la nouvelle priorité, la chine. Fragilité, aussi, sur le plan de la politique intérieure : la domination de l’Aipac (American Israël Public Affairs Committee, le lobby pro-Israël) n’est plus qu’un lointain souvenir, et les divisions ne font que s’exacerber sur le conflit israélo-palestinien, rendant plus acrobatique, pour Washington, de parler d’une seule voix.
Protection inscrite dans la loi
La pierre d’angle de la diplomatie américaine ne changera pas : depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis ont fourni à Israël une aide étrangère cumulée plus importante qu’à n’importe quel autre pays. L’Etat hébreu, qui reçoit chaque année près de 4 milliards de dollars d’aide militaire, reste le partenaire stratégique le plus proche des Etats-Unis au Moyen-Orient. Le 26 septembre, Israël annonçait même avoir obtenu un nouveau train d’aide militaire d’une valeur de 8,7 milliards de dollars. Car les deux pays partagent la même inquiétude face aux ambitions nucléaires de l’Iran et son soutien aux militants islamistes.
Le gouvernement américain est aussi tenu par l’une de ses lois à ce que toute vente d’armes à d’autres Etats du Moyen-Orient n’affecte pas « l’avantage militaire qualitatif d’Israël sur les menaces militaires qui pèsent sur lui ». Là encore, cette quasi-inconditionnalité inscrite dans le marbre s’est retournée contre les Etats-Unis : les Israéliens savent qu’ils seront toujours protégés militairement, in fine, par l’Oncle Sam, qui ne lésine pas. Dernière preuve en date, mardi soir. Le « Dôme de fer », l’un des piliers stratégiques de l’alliance américano-israélienne, a permis d’intercepter près de 180 missiles lancés mardi 2 octobre par l’Iran sur Israël. Une attaque qui a engendré un regain de tension immédiat entre Téhéran et Washington.
Face aux « guerres asymétriques » que lancent les groupes terroristes comme le Hamas, les porte-avions et chasseurs américains montrent toutefois leurs limites. Washington conserve certes une force de dissuasion ultime, qui empêche un pays comme l’Iran de franchir certaines lignes rouges, mais c’est tout. Dans une région qui s’embrase, ça ne suffit plus.
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