« La paix n’est durable que si elle est juste »
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d’administration d’Aurora, distingués lauréats, chers invités,
L’honneur qui m’est fait aujourd’hui me bouleverse. À des milliers de kilomètres de nos terres meurtries d’Afrique, je me tiens devant vous, au nom des miens, porteur d’une parole née de la douleur, nourrie par la justice, enracinée dans la non-violence.
Notre combat au Sahel, et particulièrement en Mauritanie, est celui d’un peuple assoiffé de dignité. Nous refusons que la couleur de peau, l’origine ou la caste soient synonymes d’infériorité. Contre l’esclavage traditionnel et ses formes modernes, contre le népotisme, la corruption et la suprématie raciale, nous nous dressons — pacifiquement, patiemment, sans jamais céder à la tentation de la haine.
Depuis vingt ans, nos seules armes sont les mots, nos seules victoires celles du cœur et de l’esprit. Pas un acte de violence ne peut nous être reproché. Et pourtant, en retour : emprisonnements, tortures, humiliations. Mais aussi, une conviction inébranlable : que la liberté se construit dans l’endurance et la vérité.
Nous réclamons le droit à l’éducation, à un travail digne, à l’état-civil, à un scrutin équitable. Nous réclamons surtout la fin d’un apartheid social silencieux, où le pouvoir confisque la citoyenneté à ceux qu’il considère comme inférieurs.
L’histoire récente nous interpelle. De 1986 à 1991, la Mauritanie frôla le génocide. Des milliers furent déportés, tués, spoliés. Et à ce jour, aucun responsable n’a été jugé. Pire, une loi les protège depuis 1993. Leurs crimes, couverts par l’impunité, alimentent un cycle de violence qui perdure, jusqu’à la mort tragique de sept adolescents, étouffés en détention en 2024, pour avoir osé proclamer ma victoire aux élections. Leur martyre ne sera pas oublié.
Le relèvement du peuple noir en Mauritanie n’est plus un rêve. Il est en marche. Mais il doit s’accomplir sans vengeance, car nous avons appris des tragédies du monde : Shoah, Khmers rouges, Rwanda, Darfour, Palestine… L’excès de certitude déshumanise. Nous en faisons le serment : notre combat restera moral.
Enfin, j’en appelle à votre vigilance. Un nouveau génocide se profile au Sahel. Sous couvert de lutte antiterroriste, des régimes d’exception éliminent des populations peuhles. À l’inverse, des groupes djihadistes massacrent chrétiens, animistes et chiites. Pour la première fois, l’histoire peut filmer l’horreur en temps réel. Nous ne pourrons pas dire : « nous ne savions pas ».
Alors, agissons. Maintenant. Avant qu’il ne soit trop tard.
Je vous remercie.