La Mauritanie est l’un des pays les plus jeunes du monde. Plus de 60 % des habitants ont moins de 25 ans. Pourtant, le droit du travail et les règles sociales qui encadrent leur avenir datent d’un autre siècle. Hérités des années 1960, ces textes voient toujours la fonction publique comme horizon central, les retraites comme une mécanique uniforme et les conventions collectives comme une option facultative.
Ce décalage est vertigineux. Alors que les discours officiels parlent de prospérité inclusive et de vision 2030, la réalité reste celle d’un pays où l’État distribue des postes, où les pensions sont dérisoires et où les femmes rurales travaillent sans jamais exister pour la protection sociale.
Fonction publique et retraites, un système bloqué
L’emploi public demeure l’aspiration de milliers de jeunes diplômés. Il rassure et protège, mais il étouffe aussi l’innovation. La loi 93-09 et les ordonnances de 1990 organisent toujours des carrières figées où l’ancienneté compte plus que le mérite et où la mobilité vers le privé reste quasi impossible. Résultat, l’État est devenu employeur-refuge, distribuant des salaires par nécessité sociale plus que par stratégie économique.
Cette logique pèse lourdement sur la question des retraites. À Nouadhibou, un docker usé par quarante ans de labeur part à 63 ans, le même âge qu’un cadre resté derrière un bureau climatisé. Cette uniformité est une injustice. La pension moyenne de la CNSS, autour de 20 000 à 30 000 MRO, suffit à peine à couvrir les factures de base. Quant aux agents d’établissements publics, ils subissent des retraites anticipées qui ressemblent davantage à des mises à l’écart qu’à une reconnaissance.
La retraite devrait être une dignité, pas une sanction. Elle pourrait devenir un passage, libérant ceux dont le corps ne suit plus, mais mobilisant leur expérience comme formateurs et conseillers.
Invisibles et conventions collectives en sommeil
Dans les villages, des femmes cultivent, transforment et vendent. Elles sont l’épine dorsale de l’économie agricole et artisanale. Mais elles ne signent jamais de contrat, ne cotisent jamais à la CNSS et ne bénéficient d’aucune protection. Officiellement, le Code du travail leur reconnaît des droits. Mais sur le terrain, elles sont vues comme de simples aides familiales. Invisibles dans les statistiques, elles le sont aussi dans les politiques publiques.
La Stratégie nationale d’inclusion financière 2023-2030 promet des crédits et du mobile money. Mais donner un compte bancaire ne remplace pas une couverture sociale. Inclusion financière sans inclusion sociale, c’est un mirage.
À cela s’ajoute un vide institutionnel. La convention interprofessionnelle de 1974 est toujours en vigueur, mais personne ne la fait vivre. Dans les secteurs clés comme la pêche, le BTP, les services ou le numérique, il n’existe presque aucun accord sectoriel moderne. Les syndicats, trop fragmentés et politisés, n’ont pas su arracher des négociations solides. Sans conventions collectives, les salaires sont arbitraires, la pénibilité ignorée et la mobilité inexistante.
2030, promesse ou rendez-vous manqué
La vision 2030 et la Stratégie d’inclusion financière affichent l’ambition d’un pays moderne. Mais que modernise-t-on réellement. L’accès aux services bancaires, pas les droits sociaux.
À ce rythme, 2030 risque d’être un rendez-vous manqué. Une prospérité bancaire pour les classes urbaines connectées, mais une majorité de travailleurs laissés dans l’ombre.
Réformer pour un souffle nouveau
Réinventer la retraite, c’est distinguer l’ouvrier du bureau et permettre à ceux qui s’usent jeunes de partir dignement tout en valorisant les seniors comme formateurs. Protéger les invisibles, c’est reconnaître juridiquement le travail des femmes rurales et créer une cotisation sociale micro via mobile money. Refonder la fonction publique, c’est passer d’un État employeur à un État stratège, garant des droits et animateur de croissance. Moderniser les contrats, c’est ouvrir un statut pour les freelances, les jeunes diplômés et les contrats de projet avec droits sociaux portables. Et rendre la négociation obligatoire, c’est donner une convention vivante à chaque secteur vital du pays. La Mauritanie est à la croisée des chemins. Un pays qui laisse ses travailleurs invisibles ne construit pas l’avenir, il recycle le passé. La jeunesse, majoritaire, n’attendra pas que le droit social se réveille. Les travailleurs précaires n’attendront pas que les textes poussiéreux s’actualisent. Les seniors n’attendront pas que leur expérience soit reconnue.
C’est à l’État de choisir. La réforme ou l’effacement.
Mansour LY