Un peu partout dans
le monde, les Etats se sont rendu compte des limites de leur modèle
socio-économique et les différents plans d’urgence dans les grandes
puissances ressemblent davantage à des programmes pour préserver
l’existant et rectifier bien des mauvaises décisions prises dans un
passé récent. «Il nous faudra réinventer notre futur», pour reprendre le
mot du Président Macron. Les contradictions entre les actions menées
par les différents membres d’un ensemble comme l’Union européenne pour
faire face à la crise et répondre aux préoccupations de leurs
populations montrent que les Etats seront davantage poussés à faire des
arbitrages entre les préoccupations purement nationales face à des
enjeux partagés. L’Union européenne a compris la nécessité de serrer les
coudes entre ses Nations et développer une solidarité agissante. Ainsi
a-t-elle pu lancer, pour la première fois de son histoire, un emprunt de
plus de 750 milliards d’euros au titre d’une dette communautaire. Une
logique de navigation à vue a pu qualifier l’action de bien des Etats.
Le Sénégal s’était montré proactif en anticipant sur un Plan de
résilience économique et sociale. Après trois mois d’Etat d’urgence, les
limites quant à la lutte contre la propagation du coronavirus ont pu
être identifiées. Face à la nécessité de relancer l’économie du pays et
d’éviter tout enlisement social, il est évident qu’une tentative de
retour à la normale, malgré la présence du virus, devra être faite.
La vulnérabilité de toutes les Nations s’est révélée au grand jour avec
le coronavirus. Pour le cas d’un pays comme le Sénégal, les contraintes
techniques du système sanitaire, le choc au tourisme et la dépendance du
pays aux appuis de la diaspora sont des enseignements majeurs. Le
sursaut viendra d’une prise de conscience humble des limites, d’une
réorganisation dans plusieurs domaines.
Le sous-dimensionnement des systèmes sanitaires
La pandémie du coronavirus interpelle stoïquement sur la faiblesse des
systèmes sanitaires africains. Cette fragilité s’explique par le nombre
insuffisant de lits d’hôpitaux, la faiblesse des plateaux médicaux et le
nombre modeste de médecins et personnels médicaux en comparaison au
poids démographique. Le Sénégal a pu sortir la tête de l’eau durant les
deux premiers mois de la pandémie grâce à un personnel bien formé, des
investissements qui ont pu être faits dans l’urgence. Cependant, le mois
de juin, avec la multiplication des contaminations et des cas graves, a
causé une augmentation subite du nombre de décès. Les craintes des
professionnels de la santé sur une saturation des hôpitaux, comme cela a
été le cas dans d’autres pays, étaient bien justifiées au regard de la
situation actuelle. Avec un assouplissement des mesures et gestes
barrières un peu partout dans le pays, il peut être craint que le virus
soit encore là pour plusieurs mois.
Un réajustement des politiques
sociales avec davantage de dépenses dans la santé doit être impératif
dans l’après-coronavirus. Le défaut des équipements de santé se paie
cher et on ne peut que s’alarmer face à cette situation. Le Président
Sall a pu quelque part anticiper en donnant un curseur social au Plan
Sénégal émergent (Pse). C’est ainsi que quatre nouveaux hôpitaux étaient
déjà en chantier à Touba, Sédhiou, Kaffrine et Kédougou et seront
réceptionnés dans quelques mois avec une capacité totale de quelque 1
000 lits et des équipements modernes. De nouvelles infrastructures
hospitalières et de santé devront être inscrites en tête des priorités
du nouveau plan quinquennal d’investissements en préparation.
Le choc au tourisme et aux transports aériens
Le tourisme est le secteur qui ressent de plein fouet les effets de la
propagation du coronavirus. La fermeture des frontières, la baisse des
flux de touristes, la réduction des activités directes et connexes,
l’arrêt total sur bien des sites hôteliers font envisager le pire dans
un secteur occupant une partie considérable de la population active du
Sénégal. Le tourisme représente plus de 8% du Pib du continent africain,
avec pas moins de 1,4 milliard de touristes qui ont visité l’Afrique en
2018, d’après l’Organisation internationale du tourisme. Ces chiffres
rapportés au Sénégal correspondent à un peu plus de 1 million 400 mille
personnes qui ont visité le pays en 2017. Ce chiffre a pu connaître une
hausse ces trois dernières années avec l’Aéroport international Blaise
Diagne (Aibd) se positionnant comme un hub. Les effets dévastateurs du
Covid-19 sur le secteur touristique et les transports aériens poussent
donc le Sénégal à affecter 45 milliards aux transports aériens, 15
milliards aux établissements hôteliers sous la forme de crédits et 12
milliards aux réceptifs réquisitionnés dans la prise en charge de
personnes en contact avec des malades. Ces mesures visent à sauvegarder
les emplois et éviter qu’une filière majeure peine à décoller de nouveau
après des crises dont les dernières en date sont l’épidémie Ebola et
l’exigence du visa d’entrée sénégalais.
Les efforts pour constituer
une flotte nationale prometteuse avec Air Sénégal connaissent un coup
d’arrêt avec la fermeture du trafic aérien suite à la propagation du
coronavirus et des mesures d’endiguement. La sauvegarde de l’outil Air
Sénégal est impératif, quels que puissent être les effets de la crise,
d’autant plus que la compagnie a pu transporter un peu plus de 390 mille
passagers en 2019. Il faudrait dans cette même logique qu’une compagnie
sénégalaise, dirigée par des investisseurs privés, à savoir Transair,
soit également assistée dans l’effort pour atténuer les impacts du
Covid-19 sur les transports aériens. Transair opère depuis quelques
années dans le Sénégal et dans la sous-région, permettant de désenclaver
des parties du territoire. C’est une compagnie qui a pu connaître une
bonne croissance depuis sa création et qui avait pu assurer un service
public fort appréciable, surtout durant les longues années où le Sénégal
était dépourvu d’un pavillon national. Qu’une crise comme celle du
Covid-19 la mette à genoux serait un échec pour nos pouvoirs publics et
démotivant pour bien des entrepreneurs dans différentes filières de
notre économie !
La question du tourisme interpelle nos autorités et nos populations pour une relance domestique forte. L’opportunité est enfin présentée pour une promotion effective du tourisme d’intérieur et d’une valorisation de nos terroirs. L’exemple se doit de venir d’en haut. Il n’y aura meilleur appui à l’économie de nos régions que si les Sénégalais se décident enfin à visiter leur pays. Les réceptifs hôteliers devraient, dans cette dynamique, adapter leurs prix pour permettre à la clientèle locale d’accéder à leurs services plus facilement. Les subventions et autres aides de l’Etat au profit des hôteliers pourraient être consacrées à une prise en charge partielle des coûts des séjours des nationaux dans les réceptifs.
Le coût social de la baisse des envois des migrants
Les envois de fonds des diasporas africaines sont des ressources
considérables pour les populations du continent. La Commission
économique pour l’Afrique de l’Organisation des Nations unies estime que
ses ressources «devaient atteindre 65 milliards de dollars en 2020».
Les effets du Covid-19 dont la perte d’emplois en Europe, en Amérique du
Nord ainsi que la pratique du confinement mettent une partie de la
diaspora africaine dans une situation trouble qui aura des conséquences
dans des pays comme le nôtre. La Banque mondiale estime qu’au niveau
international, les remises des migrants baisseront de 20% en 2020. Une
telle situation peut s’avérer complexe pour un pays comme le nôtre où
les envois de fonds des migrants sénégalais ont représenté entre 2015 et
2018 près de 10% du Produit intérieur brut (Pib), nous mettant dans le
cercle des dix pays africains les plus tributaires des envois de fonds
de leur diaspora, aux côtés des Comores, de l’Egypte, du Liberia, du
Togo ou encore du Zimbabwe. Il va de soi que les ressources envoyées par
les émigrés sénégalais vont énormément manquer à notre économie puisque
beaucoup de nos compatriotes se trouvent dans des pays où les effets
économiques du Covid-19 n’ont pas encore fini de se faire ressentir.
Les conséquences de cette pandémie sur la stabilité économique de la
diaspora sénégalaise et sa contribution au bien-être des populations
sont à prendre en compte. Le Professeur de relations internationales Roy
Germano développe une théorie intéressante sur le poids des ressources
envoyées par les diasporas sur le bien-être économique et social dans
leur pays d’origine. Dans son ouvrage Outsourcing welfare : How the
money immigrants send home contributes to stability in developing
countries, il démontre avec les exemples des diasporas
latino-américaines et africaines que les fonds envoyés par celles-ci
sont gages de stabilité sociale et politique en plus de créer un
mieux-être des populations en assurant les différents besoins des
familles. Il faut voir le volume de transfert de fonds de la diaspora
sénégalaise qui est passé en 2 000 de 233 millions de dollars américains
à 2 200 millions de dollars en 2017 (près de 1 100 milliards de francs
Cfa) sous ce prisme. Ces envois ont été encouragés par la mise en
service de nombreux systèmes simples et souples de transferts de fonds.
Des ressources considérables destinées à nos populations se réduiront
cette année à cause des effets du Covid-19 partout dans le monde. Il
appartiendra aux Etats africains de faire face de façon lucide et
responsable au défaut de filet socio-économique qu’assurent nos
diasporas.
Un Etat d’urgence en question
La
question d’une prorogation de l’Etat d’urgence après trois mois se pose à
différents niveaux au Sénégal. La lutte contre la propagation du
coronavirus a exigé à ses débuts une prise de mesures exceptionnelles et
un impératif de célérité. Cette situation a poussé à l’adoption d’une
loi habilitant le président de la République à prendre par ordonnances
des mesures relevant du domaine de la loi et l’instauration d’un Etat
d’urgence. Certaines des mesures restrictives accompagnant l’Etat
d’urgence se sont révélées contraignantes, voire dommageables pour des
populations, dont les pratiques quotidiennes se heurtaient à ces
réglementations d’exception.
Un jeu de desserrement des mesures et de traitements d’exception s’est imposé pour finir par vider l’Etat d’urgence de tout son sens dans un contexte de lutte sanitaire. Cette valse ou ces hésitations ou atermoiements dans l’application des mesures liées à l’Etat d’urgence ont pu faire peser dans l’opinion une idée d’impréparation, d’absence de coordination ou d’une navigation à vue. L’image de l’Etat a pu également en pâtir avec des actes de défiance par différents milieux sociaux.
Il semble maintenant que la voie serait de prôner un retour progressif à la normale en imposant le respect des mesures barrières et en accompagnant du mieux les populations. La reprise des cours pour les classes d’examen, la réouverture des lieux publics, l’autorisation des transports interurbains sont les premiers tests majeurs. De toute façon, il n’y a pas d’autre alternative. Il faudra vivre avec le Covid-19 comme nous vivons déjà tant bien que mal avec le Vih, la tuberculose, le paludisme ou bien d’autres pathologies qui se sont déjà révélées plus meurtrières au sein de notre population. Qui plus est, le Sénégal n’a plus le choix dans un contexte où tous les pays du monde ont décidé de s’ouvrir et de relancer chacun son économie. Il n’y a plus à travers le monde un pays qui voudrait s’entêter à continuer de fermer ses frontières et de confiner l’ensemble de sa population.
Lequotidien