NOUAKCHOTT – Trente-six ans après la période sombre des « années de braises » (1989-1991), le gouvernement mauritanien s’est engagé sur la voie de la réparation financière du « passif humanitaire », l’un des chapitres les plus douloureux de l’histoire nationale. L’annonce du déblocage d’une première tranche d’indemnisation, s’élevant à environ 2,6 milliards d’ouguiyas nouvelles (soit 65 millions d’euros), marque une reconnaissance concrète du drame par l’État.
Cependant, cette initiative est loin de faire l’unanimité. Gérée par une commission composée de membres du gouvernement et de rescapés, dont Ngaydé Aly Moctar, elle est frappée de suspicion.
Un « Prix du Silence » pour Garantir l’Impunité ?
Le cœur de la controverse réside dans l’approche : l’État mauritanien entend limiter la résolution du passif humanitaire à la seule compensation financière, sans engager de poursuites ni de jugements à l’encontre des présumés coupables.
Cette décision est perçue par une grande partie de la société civile comme une « aberration » et une stratégie visant à garantir l’impunité. L’indemnisation est dénoncée comme un « prix du silence », un moyen pour le pouvoir de tourner rapidement la page sans jamais affronter la vérité.
« L’argent ne lavera pas le sang, » martèle une voix parmi les militants des droits humains.
Face à cette offre, le monde des victimes est profondément divisé. D’un côté, certaines familles, souvent en situation de grande précarité, y voient une aide concrète et vitale. De l’autre, des figures comme Maimouna Alpha Sy, présidente actuelle du Collectif des Veuves, refusent catégoriquement cette « réparation en cachette ». Elles exigent que la gestion du dossier soit menée dans la transparence la plus totale.
L’Ombre de Genève et le Dialogue National
Pour les opposants, l’urgence de cette indemnisation cache un calcul diplomatique. Des figures de l’opposition, contactées soulignent que la hâte du gouvernement mauritanien n’est pas motivée par la seule volonté de réparation, mais par la nécessité de pouvoir se présenter à la prochaine session de Genève et d’y affirmer, sans être inquiété, que le problème est définitivement réglé.
Pour le député Khally Diallo, ce drame « dépasse les seules victimes : il engage la mémoire et l’avenir de toute la Mauritanie. »
Le gouvernement tenterait ainsi d’utiliser l’argent de l’indemnisation comme un certificat de bonne conduite à l’international, tout en cherchant à museler les revendications de justice à l’approche du dialogue national. Cette manœuvre suscite l’indignation au sein des associations de victimes, qui avaient d’ailleurs organisé une réunion dès samedi suite à l’annonce de l’indemnisation.
Selon Ngaydé Aly Moctar, membre de la commission, qui nous a accordé un entretien ce lundi 20 octobre, un rapport officiel sera publié une fois que les membres de la commission auront trouvé un accord final.
Rappel historique : Les Atrocités d’État
Le passif humanitaire trouve son origine dans la crise intercommunautaire et interétatique qui a secoué le pays sous le régime de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya (actuellement réfugié au Qatar). La crise, déclenchée par des tensions frontalières avec le Sénégal, a dégénéré en violences d’État à caractère ethnique.
Les populations noires mauritaniennes, notamment les Peuls,(Fulɓe) ont été la cible de purges systématiques, incluant arrestations arbitraires, actes de torture, exécutions extrajudiciaires et expulsions massives. Le symbole le plus tragique demeure l’exécution sommaire par pendaison, le 28 novembre 1990, jour de la fête de l’Indépendance, de 28 militaires mauritaniens dans la caserne d’Inal.
L’indemnisation proposée aujourd’hui ne résout pas la question fondamentale : l’État privilégie-t-il la paix diplomatique à la vérité nationale ?
« Gajjiiɗo e lewlewal wiyi yiyaani lewru, maa fajiri feer, naange fuɗa, o lokñita gite makko tawo o tinaani »
Oumar ELHADJ Thiam-JP