Le 28 novembre, officiellement célébré comme la date de l’indépendance nationale, demeure paradoxalement l’un des symboles les plus douloureux de l’histoire contemporaine de la Mauritanie. Pour une partie importante du peuple, cette journée porte les marques d’une fête souillée, chargée d’un traumatisme collectif que le temps n’a pas réussi à refermer. Les acteurs qui ont contribué à ternir cette date par des pratiques contraires à la dignité humaine n’ont jamais pleinement mesuré la profondeur des dommages causés à la nation : leur incapacité à appréhender l’ampleur des torts infligés témoigne d’une rupture grave entre l’État et les réalités vécues par les communautés meurtries.
Cette mémoire blessée révèle un déficit structurel de reconnaissance, de réparation et de justice. L’absence d’un cadre institutionnel permettant de traiter ce passé douloureux continue d’alimenter une fracture qui entrave l’unité nationale et fragilise la cohésion sociale. Une société ne peut aspirer à la paix civile lorsque des pans entiers de son histoire restent enfouis.
Dans ce contexte, un devoir de conscientisation collective s’impose avec une urgence particulière. Cette conscientisation doit être bidirectionnelle : elle implique, d’une part, la reconnaissance du vécu des victimes et, d’autre part, une prise de responsabilité claire des institutions et des acteurs impliqués. C’est seulement en revisitant ce passé avec lucidité, dans un esprit de vérité et de justice, que la nation pourra reconstruire un socle commun.
C’est dans cette perspective que s’impose la nécessité d’une justice transitionnelle apaisée, mûrie et profondément adaptée aux réalités mauritaniennes. Un tel processus ne saurait être importé mécaniquement de modèles étrangers ; il doit être élaboré à partir de nos référents culturels, de nos traditions juridiques, et des principes éthiques de l’islam : justice, équité, réparation, compassion et restauration du lien social. Ce modèle endogène permettrait de reconnaître les torts, de restaurer la dignité des victimes, de responsabiliser les acteurs et de reconstruire une mémoire nationale partagée.
Dans cette dynamique, j’affirme avec conviction que le pardon doit occuper une place essentielle. Non pas un pardon naïf, ni un pardon imposé, mais un pardon comme acte de hauteur morale. J’en appelle notamment aux victimes directes à envisager ce chemin difficile mais porteur d’avenir. Toutefois, ce pardon pour être authentique et moralement valable ne doit jamais signifier l’oubli. Pardonner ne consiste pas à effacer l’histoire, mais à refuser que cette histoire devienne un instrument de haine ou de vengeance. C’est transformer la mémoire en un levier de dignité, de paix et de construction nationale.
Ainsi, « pardonner sans oublier » devient une posture éthique et politique : elle permet d’ouvrir un espace de réconciliation réelle tout en maintenant vivante la vérité historique. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, que la Mauritanie pourra refermer la plaie encore ouverte du 28 novembre, se relancer dans son unité et consolider une cohésion sociale durable, fondée sur la justice, la vérité et la confiance retrouvée entre tous les enfants du pays.
27/11/2025
Mamadou Moustapha Bâ


















