Au Hodh el Charghi, à plus de mille kilomètres de Nouakchott, la pauvreté touche encore près de 59 % des ménages. Moins d’un foyer sur cinq dispose de l’électricité et un quart des écoles primaires fonctionne sans point d’eau. Pourtant, c’est dans ce fragment de territoire oublié que se joue une part décisive du destin mauritanien. Là, au milieu des plaines et des frontières poreuses, un modèle discret prend racine, l’Approche Territoriale Intégrée (ATI), qui redonne sens à une idée simple, la sécurité d’un État commence là où sa présence se voit.
Revenir aux lieux, l’État par capillarité et dialogue
Le développement a longtemps été conçu comme une affaire de plans, de budgets et de partenaires. L’ATI inverse cette logique. Elle part des lieux, des habitants, des besoins exprimés sur le terrain. Dans le Hodh el Charghi, des communes comme Amourj, Bougadoum et Adel Bagrou expérimentent cette décentralisation vivante. Résultat, 80 kilomètres de pistes rurales réhabilitées, quatre centres de santé rouverts, douze écoles communautaires reconstruites et des délais administratifs divisés par quatre. «On ne gouverne pas un pays depuis un point, mais depuis ses lieux multiples”, écrivait Souleymane Bachir Diagne.
Dans le Hodh, cette phrase devient réalité. L’État ne surplombe plus, il circule.
Mais cette capillarité n’est rien sans le dialogue. Avant 2020, près de 40 % des tensions dans la région provenaient de litiges fonciers ou pastoraux. Depuis, les comités territoriaux instaurés par l’ATI ont mené plus de 300 médiations communautaires mobilisant chefs traditionnels, élus, femmes et jeunes. Les conflits mineurs ont baissé d’un quart, le recours à la gendarmerie est devenu l’exception. La concertation s’impose désormais comme un service public de cohésion, aussi essentiel que l’école ou le dispensaire.
La présence qui protège et stabilise
Un État n’est pas qu’un ensemble d’institutions, c’est une présence vécue.
Là où les écoles ferment et où les puits s’assèchent, d’autres forces comblent le vide, souvent religieuses, parfois armées. L’ATI agit comme un antidote préventif. Aujourd’hui, 32 % des communes rurales du Hodh disposent d’un accès régulier à l’eau potable, contre 18 % en 2015. Les écoles rouvertes ont vu la fréquentation augmenter de 15 %, et les déplacements médicaux vers les centres régionaux ont diminué de moitié. Chaque enseignant resté, chaque sage-femme maintenue à son poste devient un rempart civil contre la peur. “Un service public fermé, c’est une République amputée”, rappelait Amadou Mahtar Mbow. Rouvrir une école, c’est déjà désarmer une tension. Mais la stabilité n’est pas qu’institutionnelle, elle est aussi économique. Selon la Stratégie nationale d’inclusion financière (SNIF 2023–2028), à peine 18 % des habitants des zones rurales disposent d’un compte formel. L’ATI s’en empare comme d’un instrument de souveraineté, avec des guichets de proximité, des coopératives rurales et plus de 12 000 nouveaux comptes ouverts, dont près de la moitié au nom de femmes.
Derrière chaque compte, il y a une vie qui s’autonomise, une femme qui n’attend plus pour entreprendre. Plus de 5 000 microentreprises ont été accompagnées.
Ces chiffres racontent une transformation silencieuse, l’autonomie comme digue contre la radicalisation.
Une sécurité du quotidien, du sud au nord
Les zones pilotes de l’ATI enregistrent aujourd’hui une baisse de 30 % des incidents sécuritaires mineurs. Non par militarisation, mais par vitalité. Là où la vie reprend, commerce, école, soins, la peur recule. La sécurité y devient civile avant d’être coercitive, reposant sur la régularité du service, la proximité de l’autorité et la confiance dans la parole publique.
L’ATI ne produit pas des projets, elle répare les liens. Mais le Hodh n’est pas seul à incarner cette République territoriale. Au sud, dans la vallée du fleuve, l’ATI affronte d’autres fractures, pression foncière, rareté de l’eau, mémoire des divisions.
Ici, la décentralisation n’est pas qu’un outil de gestion, elle devient un acte de réconciliation.
Sécuriser les terres, c’est aussi apaiser les âmes. Au nord, dans l’Adrar, le Tiris ou le Dakhlet Nouadhibou, la question n’est pas le vide mais le déséquilibre. Les pôles miniers et portuaires concentrent richesses et inégalités. L’ATI y prend la forme d’une redistribution géographique de la prospérité, logements ouvriers, infrastructures sociales, formation des jeunes à la reconversion, économie circulaire autour des ressources. Il ne s’agit pas de freiner la croissance, mais de l’ancrer dans le tissu local pour qu’elle cesse de flotter au-dessus du pays. Ainsi, du fleuve au désert, une même exigence s’impose, reconstruire l’État par la proximité.
Le Sahel, terrain d’une souveraineté nouvelle
Le Sahel brûle, mais toutes les flammes ne consument pas. Certaines éclairent les zones de résistance. Dans cette région en quête d’un modèle de stabilité, la Mauritanie esquisse une voie singulière, celle de la sécurité par la cohésion, du développement par le lien, de la présence par la confiance. L’Approche Territoriale Intégrée n’est pas un dispositif de plus dans l’arsenal du développement. C’est une philosophie politique, celle d’un État qui choisit la capillarité plutôt que la centralité, la continuité plutôt que l’intermittence, la proximité plutôt que la domination. L’État ne se décrète pas à Nouakchott. Il se prouve chaque matin, dans une commune où l’école sonne encore la cloche, où l’eau coule, et où la présence publique se mesure à la constance du service rendu. L’Approche Territoriale Intégrée rappelle une évidence, un pays ne se tient pas par ses centres mais par ses attaches. Chaque commune stabilisée, chaque puits fonctionnel, chaque médiation réussie tisse une souveraineté d’un nouveau genre, lente mais durable. C’est peut-être là, dans ces villages du sud et du nord, que se dessine la réponse la plus solide du Sahel, un État ancré, debout, fidèle à sa promesse de présence. Encore faut-il qu’il accepte d’y rester, non comme visiteur, mais comme habitant.
Mansour LY
Juriste-consultant